ZHANGJIAJIE

2018

L'affordance du paysage

J’ai l’intuition que le voyage, pour Éric Bourret, commence dès qu’il met le pied dehors. Il apparaît qu’il ne puisse faire de photographies sans marcher ; mais peut-il marcher sans faire de photographies ? Je ne sais pas. En tout cas, il se qualifie d’artiste-marcheur, tout comme l’une de ses premières références, Hamish Fulton, se disant lui-même « artiste marchant » (‘walking artist’), la seconde étant Richard Long. Et puis, dans un autre temps de l’entretien (relecture/ajout), reparlant avec notre photographe, je crois avoir bien compris que si l’on tient vraiment à évoquer la peinture en regardant ses photographies, alors il vaut mieux s’orienter vers celles de Joan Mitchell ou Philip Guston, afin de couper court à l’étiquette de romantique qui semble lui coller comme un fameux sparadrap… Effectivement, la tentation pourrait se présenter de glisser vers la peinture quand on regarde certaines de ses images. Mais cela constituerait à mon avis une régression, et, au pire, une preuve patente de paresse intellectuelle. Non pas, bien entendu, que la peinture soit une pratique du passé, mais il me semble que c’est à la photographie d’aller vers sa propre nature, bien entendu plurielle, que beaucoup de praticiens cherchent encore à atteindre. Pour sa part, Bourret n’entend pas évoquer la moindre velléité de peinture que ce soit ; il cherche à faire de bonnes photographies, dignes de ce nom, intéressantes et dans le genre artistique de la famille ; et, dans sa pratique, on retrouve quelques protocoles qui sont propres à Fulton ou Long, comme par exemple le comptage de kilomètres à parcourir, la distance à inscrire dans un nombre donné de shoots, ou bien le nombre précis (6 ou 9) de déclenchements de la même prise de vue, mais “bougée” façon Bourret. Mis à part ces rituels techniques minimaux, qu’il réactualise parfois différemment, la démarche a tout d’une chasse taoïste ; trouver sans chercher, avancer sans savoir.

La photo ci-dessus, issue de la Série ‘Primary Forest’ en Macaronésie (Açores, Madère, Canaries et Cap-Vert), ne correspond pas exactement à ce à quoi on s’attendrait en tant qu’image de paysage. Elle est altérée (du latin alterare, de alter « autre »). L’altération est un procédé bourretien, depuis 2005, avec sa série ‘Hun Tun’. Mais, dès les premières photographies, on voit bien qu’il y a déjà une idée liée à la superposition : étagement perspectival du sol (“Ar Rusafa”, Syrie,1999) ; effets d’empilement pierre sur pierre (“Baalbeck”, Liban, 2000) ; lumières sur ombre et inversement dans la série “Louxor”, (1999), où les prises de vues sont inattendues, non conventionnelles, qu’elles soient en contre-plongée ou frontales, par exemple. Ainsi, la photographie titrée ‘Giseh’ (1996), si elle évoque bien entendu les pyramides, nous donne l’idée d’un mur somme toute banal, très loin de la moindre idée d’une pyramide, cependant que l’on peut penser qu’ici Bourret s’amuse à évoquer les strates géologiques. Naturalisation du bâti ?
Photographie altérée, proposant autre chose que le simple donner à voir. De fait, le “donné” est différé : il y a une latence (terme ressortissant à l’ontologie de la photographie) entre ce que Bourret choisit de montrer, et ce que l’on comprend. Et il s’agit bien entendu du b.a-ba de ce qu’est une œuvre d’art. Si elle donne tout, tout de suite, alors, comment dire ? Eh bien !, ce n’est peut-être pas une œuvre d’art… John Cage disait qu’une œuvre d’art, c’est un peu comme une forêt dans laquelle on pénètre pour la première fois : on ne sait pas très bien où l’on va, et encore moins ce que l’on va voir et ressentir. Il y a les forêts administrées au cordeau, dans lesquelles on ne voit plus grand’chose (surtout au sol), et les forêts plus sauvages, ou primaires, qui favorisent la surprise à chaque instant. De fait, les photographies de Bourret me font penser à la fameuse phrase de Léonard, quant au mur : « Regarde sur un mur barbouillé de taches ou de pierres mélangées, tu y verras des paysages, des montagnes, des fleuves, des batailles, des groupes ; tu y découvriras d‘étranges airs de paysages que tu pourras ramener à une bonne forme.» C’est une phrase tout à fait merveilleuse et vraie : à force de regarder quelque chose d’aussi banal qu’un mur, on peut voir des “choses qui ne sont plus”, en propre, le mur. De la même manière, l’altéré photographique veut nous montrer “à la fois” quelque chose et quelques choses. Ainsi, les photographies bourretiennes sont la métaphore de son avancée dans le paysage. Et que veut dire métaphore, étymologiquement ? « Transport ». La photographie bourretienne est donc métaphorique. Je n’en connais pas d’autre.

Bourret avance dans la forêt primaire macoronésienne. Nous sommes à mi-chemin entre l’invention de la photographie et celle du cinéma, puisqu’il y a une superposition des temporalités, et une avancée dans le paysage. Bourret est très préoccupé par la question du temps et de l’espace : « Et donc je compile des instants, les uns sur les autres, sans pouvoir les maîtriser, puisque la totalité de ces images se fait sur le même négatif », me dit-il au téléphone. Je dois dire que j’ai quelques réserves quant à la possibilité de réussir à capter, par quelque moyen que ce soit, la nature du Temps. Philippe Piguet (2015) écrit que Bourret « a choisi de compiler ses images, c’est-à-dire de mettre du temps sur le temps, et encore, indéfiniment, tout au cours de ses marches, interminables et variées.» Mais on ne peut pas “mettre” du temps pur sur du temps pur, si l’on peut dire ; c’est de la science-fiction. En revanche, nous ne pouvons jamais “voir” que des instantiations d’objets dans le temps, et jamais le temps lui-même. Ainsi, un arbre considéré en tant que tel n’exprime pas la nature du temps ; il ne témoigne que de lui-même, en tant que créature temporelle. Mais créature temporelle ne veut pas dire nature du temps. On oserait même dire que le Temps n’en a rien à faire des créatures qui parsèment la chronologie, et ce n’est sûrement pas un hasard si les Grecs de l’Antiquité avaient mythifié le temps comme un ogre infanticide, Chronos dévorant ses propres enfants. Le Temps dévore ses instantiations, qui sont amenées à disparaître ; et la photographie tente de retarder fictivement cette inexorabilité, et c’est ce qui constitue son très haut degré de fascination mesmérique. De fait, nous ne savons pas ce qu’est le temps ; et remarquons qu’il est assez magnifique que nous ne le sachions pas !
À la réflexion, je me dis tout à coup qu’il y a quelque chose qui n’est pas instancié, dans cette série bourretienne, et qui est pourtant bien là ; c’est l’air. Je me rends compte qu’il y a trois choses qu’il est impossible d’instancier ; le ciel, l’air, l’eau. Décidément, d’une certaine manière, nous cheminons toujours encore avec les Présocratiques, et spécialement Empédocle d’Agrigente, qui, le premier, énonça que le monde est composé de quatre éléments : eau, feu, air, terre. Je me rends compte qu’en regardant l’air devant moi — ou devrais-je dire l’espace ? —, je n’y vois aucune instantiation du temps “dedans”. Mais “voit”-on l’air ? Non, on perçoit un “vide”, qu’on appelle « air ». Et, au dessus, on parle de ciel. Ainsi, dans cette photographie ci-dessus, et dans beaucoup d’autres, on voit bien ce vide qu’on appelle l’air, mais rien n’y est instancié, cependant qu’en lui, et en tant que réceptacle (la magnifique théorie de la khôra — le réceptacle comme porte-empreintes des choses —, chez Platon et Aristote), sont instanciés les arbres d’une forêt. A-t-on vu cet aspect chez Bourret, cette superposition (aussi) de l’instancié sur le non-instancié ? Et si cette hypothèse est valide, alors nous avons une occasion définitive de renvoyer dans le néant les mariages forcés avec la peinture : les fonds bourretiens ne sont pas des fonds picturaux, ils expriment le vide temporel du non instancié, “rapporté” (Gustave le Gray) à ce qui l’est ; ici donc des arbres. Or, jamais la peinture ne peut produire un tel effet, c’est tout à fait hors de sa portée (chacun ses techniques et possibilités). Alors oui, l’appareil de Bourret agit comme un réceptacle, qu’il situe dans le contretemps du figé, du bougé, et du non-instancié. Comme par un hasard heureux, dans un entretien de 2011, je trouve cette réponse de Bourret : « Pour moi, l’image photographique est un réceptacle de forme, d’énergie et de sens. Elle fixe les expériences […] ». Nous avons tenté alors, sans le savoir au départ, de cerner le premier terme de la Chaîne de Bourret (qui comporte quatre composants : réceptacle, forme, énergie, sens).

Il y a une étonnante relation entre le paysage et Bourret, qui se retrouve d’ailleurs dans sa manière de s’exprimer ; il dit que son « corps bouge au paysage », et parle de sa « mobilité au paysage ». La construction de ces deux phrases est étrange, mais il ne faut surtout pas les prendre comme des fautes d’expression. Bien plutôt, elles expriment la traduction directe de la nature particulière de cette relation, lisible par l’article « au » et par son emploi régulier du mot « expérience », expérience qu’il retranscrit avec des expressions telles que « flux », « palpitation du paysage », ou encore les « micros pulsations de mon corps dans le paysage ». Là encore, avec cette dernière expression, nous avons l’idée que quelque chose se dissout, entre le corps de Bourret et le monde externe ; ou peut-être s’agit-il de ce que le philosophe Maurice Merleau-Ponty appelait la « chair du monde », ou, dit plus simplement, et comme l’écrit le philosophe Graham Nerlich (2005) : « Tout ce qui est réel est lié, spatio-temporellement, à toute autre chose réelle (i.e., des corps) ». Ainsi, si tout est lié de cette sorte, on peut postuler que les formes de connexion qui s’ensuivent prolongent ledit corps dans l’espace, et inversement. Pour cela, il faut vraiment avoir la sensation d’être dissous dans le paysage. Est-ce ce que ressent Bourret ? Dans tous les cas, vivre et ressentir le moment, et “rien” que cela, sans idée d’avant ou d’après (ce qu’on appelle le Présentisme), sans projection intentionnelle, c’est cela, l’expérience. Les artistes photographes d’extérieurs témoignent, pour certains, de cette relation exceptionnelle, et s’ils sont si peu nombreux à en parler et à vouloir en attester (Agnel, Bourret, et probablement Charrière), c’est que, décidément, il faut avoir un corps ad hoc. De fait, il doit exister, entre le corps regardant — ouvert —, et le paysage, des contacts d’une puissance probablement inconcevable pour quiconque n’est pas de cet acabit. Et alors, tout l’enjeu, pour l’artiste, c’est de ramener de ces prises de contacts une forme palpable et parlante pour le spectateur, car ce n’est pas le tout de ressentir et capturer les images, il faut aussi transmettre. Et c’est pour faciliter cette dernière que Bourret fait tirer en grands formats ces photographies (les trois séries mentionnées sont prévues pour une dimension de 150 x 200 cm). Nous avons l’habitude, aujourd’hui, de voir des photographies de grand format, mais remarquons que ces grands formats inscrivent aussi Bourret dans la photographie la plus contemporaine, à partir du tournant identifié par Michael Fried (2012), dans les années 1990, avec la Série “Tableau” (1991), de Jean-Marc Bustamante. Il est plus que parlant qu’un photographe titre un ensemble de photographies avec un tel mot. Mais alors, se demandera-t-on, est-ce pour rivaliser avec la peinture, ou avec le format ? Le fait de mentionner cette caractéristique me fait réaliser que nous sommes très ignorants en matière de photographie, d’une manière générale : pour la plupart des personnes, à ce qu’il peut paraître, la photographie constitue une linéarité chronologique depuis son invention — comme certains le pensent de l’Histoire —, ce qu’elle n’est évidemment pas. On notera que le point de vue de Fried diverge de celui de Poivert (2010), qui écrit : « Il n’y a pas d’événement inaugural de la photographie contemporaine dans sa dimension spectaculaire de mise en crise du médium lui-même. Il n’y a pas de moment originel, de texte fondateur et encore moins de manifeste, d’événement ou de mythe d’une naissance de la photographie contemporaine.» Quoiqu’en dise Poivert, il est assez patent que le grand format photographique entend favoriser au mieux l’immersion, terme à comprendre depuis un point de vue bien antécédent à ce qu’on appelle « réalité augmentée » ou « immersive », telle que permise par la virtualité informatique : nous pouvons toujours, en 2020, nous trouver absorber par une photographie de grand format, et il est probable que cette caractéristique énactive ne peut pas être challengée par la dite “réalité virtuelle”, puisque cette dernière, si elle peut créer une troisième dimension, n’en demeure pas moins totalement fictive, ce qui n’est pas le cas de l’immersion depuis une photographie matérielle, qui est seule à même de créer un lien qui n’a pas trait à un leurre, mais à l’expérience (spectateur face à une œuvre, et non pas fictivement dedans, ce qui, concurremment avec les hideuses projections de peintures en 3D dans le monde réel, ne font que saccager la nature du rapport artistique).

Ce sont des paysages tout à fait exceptionnels, à couper le souffle, probablement. À regarder les séries que Bourret m’a adressées, il me semble qu’il donne plusieurs moyens d’accès à ses photographies, plusieurs types d’approches. Ce que je trouve très étonnant, et déstabilisant. Comme on dit : On ne sait pas sur quel pied danser. Et c’est ce qui participe de l’intensité de ses images. Par exemple, d’un côté, sur les deux reproductions ci-dessus, on a l’impression du paysage, et d’un gigantisme assez impensable, si l’on suppose que ce sont bien des arbres que nous voyons accrochés au grès quartzite. Depuis une autre région de la réflexion, c’est à croire que Bourret nous montre la géologie en mouvement. Et, depuis encore une autre zone, on remarque ces magnifiques tons de gris, et de vert.

Et regardez cet effet d’ombre, à gauche ci-dessus, dans l’air. Une ombre dans l’air, ça n’existe pas. Et si !, la preuve. On peut encore, depuis une autre région de la pensée, constater justement comment cet air, ou ce fond d’air, est gris uniforme, presque irréel, et on se demande comment Bourret réussit à obtenir pourtant tant de contrastes. On pourrait penser que Bourret a invité les deux piliers dans un studio ! Et regardez ces effets de “balayage” sur la roche, comme si elle était poilue ! (Nous avions bien une forêt marchante chez Akira Kurosawa…)

Un détail d’encore plus près, si l’on peut dire. Je trouve cela assez stupéfiant le degré de nuances, d’effets chromatiques, de mouvements, que réussit à obtenir Bourret. Car, je dois l’avouer, je me suis fait la réflexion qu’il s’agissait d’un nouvel ensemble de séries propres au “bougé” bourretien, donc “ quelque chose” qui n’était pas vraiment inattendu. Mais je me trompais. Premièrement, il faut du métier pour parvenir à faire des photographies pareilles. Deuxièmement, seules les expériences accumulées dans les épreuves du temps et de la marche permettent ce que Bourret appelle l’« œil affûté », et donc, rendent possibles de voir ce qu’avant on ne voyait pas, ou bien qu’on n’a tout simplement jamais vu avant, car Bourret ne passe pas régulièrement visiter la forêt de grès du Wulingyuan ! Et, de fait, ce “jamais vu avant” renforce certainement la volonté, chez Bourret, de bien voir, s’il est possible qu’un photographe voit “mal” (ça existe) et de ne rater aucun instant-chromatique pendant qu’il est là. Bourret essaie de mettre du temps-instancié dans l’image, en découpant le paysage, qui devient “instantanément” superposé. Il tente ainsi de réduire le paradoxe de John Locke (1690), qui écrit : « Il y a une autre sorte de distance, de longueur, l’idée de quoi nous n’obtenons pas des parties permanentes de l’espace, mais depuis les parties brèves et perpétuellement périssantes de la succession. Nous appelons cela DURÉE ». Les parties permanentes de l’espace, c’est aussi (paradoxe) du temps instancié.

Nous pouvons le dire maintenant : les photos de Bourret sont très belles, et puissantes. Ci-dessus, le résultat d’une résidence d’un mois en Islande. – 15 °C, quatre heures de jour, une heure de route, comme il me l’a relaté. Il fallait donc être efficace. Comme je lui ai fait remarquer, la série ‘Hot spot’ semble moins ‘tremblée’ que les deux autres. Cependant il m’a répondu qu’il a superposé tout de même, mais pas de la même manière. D’ailleurs, cela se voit sur l’image ci-dessus : on a l’impression d’un “ajout-découpe” sur le côté gauche du premier mont dont on ne s’explique pas l’origine ; si ce n’est l’altéré-bougé bourretien. C’est une très belle image. J’insiste, mais il faut dire, et redire, quand les choses sont belles, et produites par la main et l’œil. À-propos de physiologie artistique (domaine encore assez inexploré), Bourret, durant l’entretien, me confie que c’est « avec son corps qu’il fait des photos, pas avec son cerveau ». C’est une information intéressante, car elle signale comment fonctionne le corps d’un artiste dans un processus artistique. Bien entendu que Bourret a besoin de son cerveau pour faire des photos, mais, ce que son expression veut dire, c’est qu’à un moment, et peut-être même tout du long, le cerveau de Bourret est davantage connecté à son expérience globale de l’environnement, ce qui, de fait, peut conduire à un équilibre hylémorphique (corps-mental, pour le dire vite) davantage sensitif que conceptuel, sachant que, même encore dans le sensitif, on trouve du conceptuel, mais distant, non-invasif. Et alors, ce type de postulat ne fait que renforcer ce que l’on pourrait appeler la complète ‘affordance’ (pour reprendre la belle notion de James Gibson dans son écologie sensitive), qui lie Bourret aux éléments qui lui sont proches : le sol, l’air, l’environnement proche et lointain ; le faisant passer dans une dimension purement esthétique et sensitive, et donc davantage aconceptuelle. L’affordance, tous les organismes vivants la connaissent, c’est le rapport très complexe qu’un corps entretient avec l’environnement. L’un des premiers exemples donné par Gibson, c’est le pied qui se pose au sol.

Ci-dessus : transformer le sol en horizon. Mélanger la neige à la neige, et faire partir le regard depuis le plus froid vers le plus chaud, paradoxe chromatique. Écraser le ciel sur terre, ou faire monter la terre comme une mer aride ; clin d’œil de Bourret vers lui-même — 1999, Ar Rusafa —, dans le sol rapporté (x fois) d’Islande à ce qui ne l’était pas encore.
Je réalise, en regardant les images de Bourret, que la photographie ne peut pas être associée à ce que j’appelle la récollection osirienne de l’art (article afférent ici). Pourquoi ? Parce que la photographie est encore très jeune. Pour le dire d’une manière un peu abrupte : nous ne savons pas vraiment encore en quoi consiste une photographie. Nous n’avons que très peu de textes fondateurs pour nous aider à comprendre ce qu’est une image, et nous ne sommes pas au bout de nos questionnements. Et c’est tant mieux. Ainsi, les photographes contemporains contribuent largement encore à nous remettre face à l’image, ce qu’elle représente, ce qu’elle recèle, ce qu’elle livre, ce qu’elle garde… « Face à l’image » veut dire image tant “naturelle” que “trafiquée” (dans le bon sens du terme), comme on trafique un moteur pour aller plus vite, pour voir davantage de stries dans la vitesse, tout en se rappelant qu’il n’existe pas, même en photographie, de reproduction fidèle du monde réel. Un dernier mot. Les photographies que Bourret m’a envoyées sont tellement belles que j’aimerais en mettre bien davantage dans cet article, mais je crois qu’un certain principe de parcimonie doit être proportionnel au dire, et je tente d’appliquer ce principe à tous mes articles.

Léon Mychkine, 2020