« S’il ne manque point d’un certain ridicule à écrire un livre sur Venise, le risque en est compensé par le plaisir qu’il y a à le courir. C’est du reste le sentiment de plus d’un et je n’en veux que pour preuve le nombre d’ouvrages qui ont Venise pour objet ou pour cadre (…). Le puissant et magique attrait qu’a exercé la Ville incomparable diminue le péril d’y céder à son tour ».
Henri de Régnier
Comme tout point de départ mène à un point de départ, j’aborde cette note par cet exergue pour deux raisons : à quoi cela sert-il encore d’écrire sur cette ville, ou de la photographier ? L’aspirant devrait plutôt éliminer les mauvais mots mis dans son tout, dût son tout demeuré sans mots (Antonio Porchia) ; un librettiste sait que tout ce qui est coupé ne sera pas sifflé. D’autre part de Régnier évoque « le péril d’y céder à son tour », obscure formule qui me renvoie à mon propre syndrome de Venise.
J’abonde dans le sens de Baudrillard lorsqu’il écrit que « l’on ne photographie bien que par lumière brillante, ou par ciel gris plombé. Les couleurs éclatent dans l’un ou l’autre cas, soit par brillance soit en sourdine ». Certes, mais au sortir de ses travaux récents sur la montagne de Lure ou sur l’Etna (les Blanches), Bourret souhaitait une lumière atone et blafarde, sans contrastes ni pyrotechnies colorées. L’atonie de Bourret n’est pas l’achromie de Manzoni qui s’en prend à la splendeur superficielle. Elle ne vise non plus le monochrome. Elle est une mise en scène du retrait, une stratégie de l’élémentaire, du presque rien, un refroidissement de la sensualité des couleurs. Pour paraphraser Leibniz, il n’y a jamais de discontinuité préétablie chez Bourret mais une harmonie ponctuelle. Ce n’est pas une descente de police ni un inventaire après décès mais une visite courtoise que rend l’artiste à Venise (« la vieille dame et la mer », Sylvain Tesson).
Lumière et météo que nous eûmes en cet arrière-automne, mot poli pour rappeler qu’il y a un mois encore c’était l’été déclinant. L’unique contrainte était photographique : des journées courtes à la lumière exploitable de sept à seize heures. Sauf par temps de pluie, ici, pour le marcheur, toutes les météorologies sont des beautés. Un proverbe local dit qu’à Venise la pluie est particulièrement mouillée (et pour qu’un peu s’y greffent à l’horizontale des rafales de Bora à cinq degrés !). Rien de cela hormis une acqua alta typique et d’époque qui, deux fois par jour fait rimer Venise et Moïse sous les sirènes héritées des Autrichiens. Aucun ciel hivernal bleu lavande non plus, ni bleu délavé moutonné de blanc d’Espagne, à la fatto presto de Tiepolo. Pas de brouillard qui dissimule le laid ni de neige qui le recouvre, qui rendent plus beau le beau. Même la lune gibbeuse ascendante qui annonçait sa plénitude imminente dissimulait son ducat d’argent (il manque clairement ici le talent d’un nature writer ou de Tesson dans ses logbooks). Dans Fiches, Wittgenstein souligne qu’en mathématiques – et – donnent + tandis qu’en psychologie – et – font + que -. Le beau s’ajoute-t-il à lui-même ? La somme des deux produirait-elle encore + que + ? Non, écouter en boucle « Treacherous Cretins » de Frank Zappa en déambulant dans Venise ne sert ni dessert la Sérénissime. Et c’est la même chose avec Monteverdi ; outre l’accord parfait, aucune synesthésie transcendantale n’est à remarquer. Nietzsche, le dompteur éternel des cimes de l’esprit nous livre : « lorsque je cherche un autre mot pour exprimer le terme musique, je ne trouve jamais que le mot Venise. Je ne sais pas faire de différence entre les larmes et la musique : je ne connais le bonheur de ne pouvoir imaginer le Sud sans un frisson de terreur ». Personnellement, je ne me souviens pas de Venise enceinte de moi mais conserve bien en mémoire un prodrome issu de l’adolescence d’un cœur malade du XVIIIème siècle, mon bonheur de pleurer à Venise. Pardonnez-moi, j’ai un renvoi stylistique.
A Venise, il n’y a pas de hors-saison. En raison de sa fréquentation, le choix de la basse-saison s’impose et impose le choix des lieux arpentés. Parmi la liste des choses à ne jamais faire : emprunter de jour la ligne 1 du vaporetto ou marcher par les Mercerie entre le Rialto et le bassin de San Marco. Ce qui devait être une semaine de promenade devint une semaine de bourlingue. De la terre-eau à l’eau-terre. Si une sortie est préparée, la promenade, elle, laisse toujours une part d’indétermination dans le fait d’augmenter ou de réduire la marche. C’est l’exaltation d’un instant fondamental, celui de la rencontre avec le paysage et ses tropismes dans les lieux revisités (ce travail est un work in progress entamé depuis 2001, un musicien parlerait de variations autour d’un thème). Cette indétermination conjuguée à l’aléatoire opérationnel de la prise de vue est pleinement assumée par l’artiste. L’excès de rationalité engendre la futilité mais elle est plurielle et discontinue tandis que la rationalisation est clôture par excès de planification. Bourret, le wanderer-hasselblader, joue sur cette imprévisibilité sans pour autant faire de l’œuvre une fille du hasard et de la rencontre, sans pour autant non plus verser dans une conceptualisation modélisée de la création.
C’est en 1948, la date est importante, que l’historienne Elge Renata Trincanato publie l’irremplaçable « Venise mineure ». Elle remarque qu’entre 1300 et 1800, une autre ville se développe derrière les palais. Je dis « palais », mais il n’y en a qu’un à Venise, le Palais Ducal ; les autres sont des case ou ca’. Cette Venise à l’architecture mineure, c’est celle où l’on retrouve les touristes le nez sur la carte dans des rues sans luxe même ébréché, rues ouvrières du temps de l’Arsenal, aux hautes maisons de briques où grimpent des plantes et descend du linge. Comme il y a toujours un géographe derrière un historien, Trincanato dégage une triple Venise concentrique : le Grand Canal et le bassin de Saint-Marc, les mieux maisonnés ; un in-between des grandes Scuole et confréries liées au pouvoir des patriciens ; enfin, la périphérie ouverte sur la mer, occupée par des bâtiments conventuels, des chantiers navals, des terres maraichères et des hortus clausus de plaisance. Comme il y a toujours un cartographe derrière un géographe, elle voit dans la xylographie cavalière de Jacopo de Barbari datée de 1500 l’urbanisme de la ville se transformer par manque d’espace. La malaria et la peste dans la lagune, le triplement de l’Arsenal, la création du Ghetto Nuovo sont quelques raisons de la création de cette Venise mineure. Que vous soyez dans la Sacca Fisola ou celle de San Girolamo, à San Pietro ou à Sant’Elena, dans le Dorsoduro après les Zattere, partout vous retrouverez cette architecture uniforme bâtie sur un plan hippodamien rigoureux : calle, corte, pozzo (la rue, la cour, le puits). Pour Bourret, c’était encore trop vénitien, trop « photographie allemande » d’où cette tentation de la lagune septentrionale.
Comme tout touriste je pratique un mauvais exotisme, celui du dépaysement et de la déterritorialisation tandis que l’exote de Victor Segalen recherchait la diversité et l’altérité. En effet, ce n’est pas ce qui est lointain géographiquement qui est différent mais le différent qui est distant. Pour preuve, empruntez le Canal de Cannaregio jusqu’à son embouchure. Laissez le Pont des Trois Arches derrière vous pour aboutir à la fin du môle. Face à vous, à moins de dix kilomètres de distance, s’étale le plus effarant védutisme contemporain : une gondole à vos pieds, le trafic maritime incessant, le transport ferroviaire et routier sur le Pont de la Liberté, les TGN aux pavillons de complaisance à votre gauche, l’aéroport Marco Polo et le complexe pétrochimique de Porto Marghera à l’horizon ; où et dans quelle époque sommes-nous ? Dans « Des espaces autres », une conférence prononcée en 1967, Michel Foucault définit l’hétérotopie (et son corollaire hétérochronique) comme un lieu où se juxtaposent plusieurs lieux incompatibles dans l’espace réel et concret. Venise est cela, un lieu hors de tous les lieux. S’il cite pour exemple le théâtre, les prisons ou les jardins, Foucault conclut que « le navire, c’est l’hétérotopie par excellence. Dans les civilisations sans bateaux, les rêves se tarissent, l’espionnage y remplace l’aventure, et la police, les corsaires ». Imaginons un Princess of the Seas immatriculé à Nassau qui jouerait les Costa Concordia dans le Canal de la Giudecca !
Il n’y a pas à ma connaissance de syndrome de Venise référencé ; j’en endosse un instant le costume. S’il existait, il concernerait ceux qui entretiennent un rapport stockholmois avec cette ville. Le syndrome de Venise serait alors l’antidote au syndrome de Stendhal. Préférer la circumnavigation à la circumambulation. Laisser les cartes postales sublimes de cette ville là où elles sont et ne garder que quelques amers de navigation qui enchâssent et sertissent ce reliquaire tel un stupa, un chorten rectifierait Bourret. Et pourquoi pas un cairn de montagne, une cime émergeante d’une mer de nuages, une montagne-eau comme dans l’exposition Hun Tun. Les amers de Bourret sont des campaniles profanes, des notes noires sur une immensité de blanches comme dans la musique de Morton Feldman, ils sont des haïkus visuels, parfois vaguement anthropomorphiques, cimiers, heaumes ou homme qui marche. Ils font penser à la sculpture aussi avec leurs airs de Tinguely, de Caro ou de Gonzales. Nous sommes à une encablure de l’art d’assemblage, de la culture junk, d’un néo-dadaïsme de Biennale. Dans ses photographies, Eric Bourret endimanche et ennoblit la vulgaire balise en palina d’amarrage de gondole. Devant les Polyptyques (c’est ainsi qu’il les nomme ; mais ils pourraient s’intituler Venise ou Sans titre), je me dis que Bourret nous laisse là où les autres artistes commenceraient. Face à cette lagune mineure où le ciel cogne mer, où la mer s’y noie un peu dedans, les yeux marinent. Ces photographies sont des paysages, des marines, très hollandaises, Mer du Nord. Ici, les yeux avalent ce que la pensée déchiquète. Ici, l’œil engloutit ce à quoi la pensée aspire. Le lieu est désolé et désolément monotone mais évoque une poésie éteinte, comme dans les films des frères Taviani ou les photographies de Luigi Ghirri.
Il y trois Polyptyques : l’un est de couleur crème crayeuse un peu fluorée, un peu shampouinée ; le second se rapproche des gris bleutés de Brice Marden ou d’Ettore Spalletti mais brisés au jaune de Naples, quant au troisième, le plus loquace, il semble surexposé au tungstène. Le polyptyque a pour fonction de borner la série, de proposer une séquence où chacune des photographies autonomes étire l’effet de présence, sans pour autant verser dans la répétition somnambulique de la tautologie. Dans les trois cas, il y a deux registres barrés par une unique ligne de fuite, un horizon hersé de grues, de cheminées et de quelques campaniles. Il n’y a aucune hiérarchie entre l’eau et le ciel, l’un et l’autre prenant tour à tour l’ascendant, aucune cardinalité visible ni même de perspective affirmée.
Nous sommes entre les Fondamente Nove et Burano, en direction de Torcello, dans une lumière matinale que ne désavouerait pas Gerhard Richter. Mais le danger dans l’éloignement de la ville serait de la perdre en tant que sujet, que cadre. Le paline destinées à la navigation à l’estime deviennent le dernier signe, le dernier objet, pauvre et fonctionnel, symbolisant ontologiquement Venise. Un simple bosquet tripodique planté tête en bas dans la lagune, le berceau historique de la République, à l’instar de la ville construite sur une forêt plantée la tête en bas (le très joli Venise est un poisson, Tiziano Scarpa), tel semble être le sujet de ces photographies. Quoique. En 1975, des radiographies exécutées sur La Tempête de Giorgione mirent à jour de nombreux repentirs qui bouleversèrent toutes les exégèses et herméneutiques iconographiques du tableautin. L’historien et archéologue Salvatore Settis fit la synthèse de toutes les interprétations du tableau pour en conclure, avec amusement, que la question du sujet (ou du non-sujet) restait ouverte. Plus encore, Settis avançait l’hypothèse qu’il s’agissait là de la première commande libre d’un tableau, sans cahier des charges. Gabriele Vendramin rémunérait un caprice de peintre.
C’est à Florence que se situe l’overdose culturelle de Stendhal ; et c’est une psychiatre florentine, Graziella Magherini, qui en a défini le syndrome. Ce pourrait être ailleurs, Stendhal et Grenoble, la ville haïe, mais aussi Rome, Milan surtout, et Venise. Si l’on imaginait un syndrome de Nietzsche, où le situerait-t-on ? En Engadine ou à Turin ? A Venise également. Tout ce qui émane de Venise m’enchante, ou presque. Cette ville est un paquebot incoulable du business dans la pire de ses acceptions, et dans son kitsch. Dans « Contre Venise » (pour Naples), Régis Debray trouvait que la Sérénissime puait la mort ; la ville non, la lagune, si. Venise chef-d’œuvre absolu ? Evidemment. Le seul vrai choc après New York. Après Sanaa selon Bourret. Visiter Venise à titre privé, toujours (l’anagramme de Venise est envies), et la fuir aussitôt car l’addiction y est des plus dures. Le syndrome de Venise évite la suffocation de celui de Stendhal tout en conservant l’imprégnation involontaire de celui de Stockholm. Je peux à ce point égrainer quelques exemples précis de symptômes, de rituels personnels avouables et réels confondus : dire qu’à chacun de mes voyages je rapporte un fragment de brique. J’en compte soixante-dix ; avouer que j’ai en permanence dans l’ordinateur en plan fixe la descente du Grand Canal ; que j’emmène toujours avec moi le guide National Geographic et une rare carte militaire de la ville au 2500ème que je n’ouvre jamais ; dénoncer mes auto-clochardisations du passé dans des bateaux (sous des bâches avec des restes de pêche, dans une gondole en hivernage dotée de son felze d’époque ou sur la luxueuse sellerie Chesterfield rouge de la cabine arrière d’un motoscafo de la Regione Veneto laissée ouverte). Mais c’est l’arrivée à Venise qui émeut le plus Bourret, quel que soit le moyen de transport. Pas de mélancolie du départ en revanche. Je pense même que ce qu’il préfère ici, « c’est prendre le métro », je le cite. Bourret, le piéton d’altitude, aime être embarqué les pieds tanqués sur la plateforme centrale d’un vaporetto fibrillant. Bourret finalement à 0 mètre d’altitude au-dessus du niveau de la mer. L’arrivée préférée de Philippe Sollers est par avion, de Paris, par-dessus les Alpes, lorsque le pilote bascule les ailes pour laisser voir le Mont Blanc. Par bateau pour Cendrars le bourlingueur, dans la lumière micassée du Quai des Esclavons. Et c’est certainement par train qu’elle étire le mieux l’espace. Dans son Journal, Kierkegaard prend bien soin de noter les variations de perception selon que l’on soit assis dans le sens de la marche ou dans son sens contraire. Pour Venise, je préconise le sens de la marche pour l’arrivée (l’épiphanie de la ville) mais le sens contraire en direction de Mestre pour la voir disparaître. C’est à Mestre d’ailleurs que la sensation de mal de mer s’évanouit définitivement. Lorsque les paupières sont closes les yeux continuent de voir mais s’ennuient ; c’est alors qu’apparaît le doux hologramme de l’écheveau vénitien.
Pierre Padovani, 2015
Catalogue / Et l’espace fera de moi un être humain / co-production Musée Ziem, Arnaud Bizalion éditeur, 2015
Exposition / Musée Ziem / Martigues / octobre 2015, février 2016
« While there is something absurd about writing a book on Venice, the risk is outweighed by the accompanying pleasure. Those who hold this view are legion, as is shown by the number of works that take Venice as their object, or their setting. […] The powerful, magical attraction exercised by this incomparable city attenuates the potential dangers of giving in to it. »
Henri de Régnier
In the same way that every point of departure leads to a point of departure, I chose the foregoing epigraph for two reasons. On the one hand, what’s the point in writing about Venice, or photographing it? The aspirant should, rather, strip the whole of every ill-chosen word, even if the result is that the whole is left without words (Antonio Porchia). The librettist knows that what’s removed can’t be booed. On the other hand, Régnier talks about « the potential dangers of giving in to it »; and I have my own personal « Venice syndrome ».
I agree with Jean Baudrillard that « one can photograph well only in bright light or under a leaden sky. In either case, the colours burst forth, brilliant or muted. » Indeed. But Eric Bourret, after his recent work on Lure mountain and Etna (Les Blanches), was looking for pallid, toneless light, without contrasts or pyrotechnics. Not the achromaticity of Manzoni’s attack on superficial splendour, nor any kind of monochrome; but rather a scenography of withdrawal, a strategy of the elementary, the almost-nothing. A cooling of the sensuality that belongs to colour. With Bourret (to paraphrase Leibniz), there’s no pre-established discontinuity, but episodic harmony. This isn’t a police raid, or a post-interment inventory, but a courtesy visit by the artist to, in Sylvain Tesson’s words, « the old lady and the sea ».
The light and weather of late autumn: a polite way of recalling that a month ago it was still summer, if in decline. The only constraint, photographic: short days with usable light from seven a.m. to four p.m. Here, for the walker, except when it’s raining, every type of weather’s beautiful. According to a local proverb, Venetian rain’s particularly wet (not to mention the possibility of the Bora slicing in at 5°C!). This time, however, there was just the typical, seasonal « acqua alta » which, twice a day, made Venice rhyme with Moses, to the sound of sirens inherited from the Austrians. No lavender-blue winter sky either, nor washed-out blue with flecks of white, as in Tiepolo’s « fatto presto ». No mist to shroud the ugliness, nor snow to cover it up, and make the beautiful still more so. The rising gibbous moon, announcing its imminent plenitude, dissimulated its silver ducat. (What’s lacking here, clearly, is the talent of a nature writer, or of Tesson’s logbooks.) Wittgenstein, in his Remarks on the foundations of mathematics, states that in mathematics, – and – make +, while in psychology, – and – make + than -. Does the beautiful add to itself? And does the sum of the two produce even + than +? No. Listening continuously to Frank Zappa’s « Treacherous Cretins » while walking round Venice is neither good nor bad for La Serenissima. And it’s the same with Monteverdi: apart from the perfect chord, there’s no transcendental synaesthesia. As Nietzsche, that eternal tamer of mental summits, put it: « When I seek another word for music, I always find only the word Venice. I do not know how to make a distinction between tears and music – I do not know how to think of happiness, of the South, without a shudder of fearfulness. » Personally, I don’t recall Venice pregnant with me, but my memory conserves a prodrome of this, from an adolescence longing for the 18th century – the joy of weeping in Venice. Forgive me, but I’m having a stylistic flashback.
Venice knows no off-season; which makes the choice of the slack period, and of places to be paced out, all the clearer. On the list of things never to do: in the daytime, to take a Line 1 vaporetto, or to walk among the « mercerie » between the Rialto and the San Marco basin. What was meant to be a week of walking became one of hanging around. From earth-water to water-earth. The exit may have been prepared, but the walk itself always contains an element of indeterminacy, in its augmentation or diminution. It’s the exaltation of a fundamental instant – that of an encounter with a landscape and its tropisms, in places revisited. (This is a work in progress that began in 2011; a musician might talk about variations on a theme.) And the indeterminacy in question, combined with the operational randomness of image-making, is fully acknowledged by Bourret. Excessive rationality engenders futility, but it’s plural and discontinuous, whereas rationalisation’s closed off by excessive planning. Bourret the wanderer-hasselblader plays on this unpredictability, though without wanting his work to be an offspring of chance meetings; but also without veering into a formalised conceptualisation of creativity.
In her indispensable Venezia Minore, published in 1948 (and the date’s important), the historian Egle Renata Trincanato noted that, between 1300 and 1800, another city developed behind the palaces of Venice. I say « palaces », but in fact there was just one: the duke’s palace. The others were « case », or « ca’ ». This is the Venice of « minor » architecture in which tourists pore over maps on streets without grandeur (even faded); working-class streets from the time of the Arsenal; tall brick houses with plants that climb and washing that hangs. Behind every historian there’s a geographer, and Trincanato shows us a triply concentric Venice: the Grand Canal and the San Marco basin, with the finest houses; an intermediate zone, with the « Scuole » and brotherhoods, based on patrician power; and finally the periphery, facing the sea, with ecclesiastical buildings, boatyards, cultivated fields and enclosed pleasure gardens. But behind every geographer there’s a cartographer, and in Jacopo de’ Barbari’s bird’s-eye woodcut, dated 1500, Trincanato saw a city being transformed by lack of space. Malaria and plague in the lagoon, a tripling in the size of the Arsenal and the creation of the Ghetto Nuovo were some of the reasons for the creation of this « minor » Venice. In Sacca Fisola and San Girolamo, San Pietro, Sant’Elena and the Dorsoduro, beyond the Zattere, there is the same uniform architecture, laid out along a rigorous Hippodamian plan, with the « calle » (street), « corte » (courtyard) and « pozzo » (well). But for Bourret, it was too Venetian, too reminiscent of stylised « German photography ». Hence the attraction of the northern lagoon.
Like every other tourist, I fall for artificial exoticism – that of defamiliarisation and deterritorialisation – unlike Victor Segalen’s « exota », which sought diversity and alterity. In fact, it’s not the distant that’s different, but the different that’s distant. To see how this can be so, carry on past the Ponte dei Tre Archi to the mole at the end of the Cannaregio Canal. Across a panorama of some ten kilometres there’s the most awful example of contemporary vedutismo: a gondola at your feet, constant maritime activity, road and rail traffic over the Ponte della Libertà, cruise ships flying flags of convenience to the left, the Marco Polo airport and the Porto Marghera petrochemical complex on the horizon. Where are we? And in what age? In a 1967 lecture, « Spaces ‘other’ », Michel Foucault defined the « heterotopic » (along with its « heterochronic » corollary) as a juxtaposition of incompatible places within a real, concrete space. And that’s Venice: a place outside of place. As examples, Foucault mentioned theatres, prisons and gardens, but he concluded that « ships are heterotopic par excellence. In civilisations without boats, dreams dry up, and espionage replaces adventure, the police, corsairs. » We might imagine a Princess of the Seas registered in Nassau, doing a Costa Concordia in the Giudecca Canal!
To my knowledge, there’s no recognised « Venice syndrome »; so for the moment, I’ll lay claim to it. If it existed, it would apply to those who have a « Stockholm syndrome » relationship to the city. The « Venice syndrome » would thus be an antidote to the « Stendhal syndrome »: a preference for circumnavigation over circumambulation. Putting the sublime postcards aside, and retaining just a few seamarks that stake out this reliquary like a stupa. Or, as Bourret would say, a chorten. Or again (why not?), a mountain cairn, a summit emerging from a sea of clouds, or a water-mountain, as in the Hun Tun exhibition. Bourret’s seamarks are secular campaniles, crochets among a cascade of minims, as in Morton Feldman’s music. They’re visual haikus, sometimes vaguely anthropomorphic, with crests, helms, or individuals, walking. They’re suggestive of sculpture – that of Tinguely, Caro or Gonzales. We’re just a step away from an art of assemblage, junk culture, or Biennale-ready neo-Dadaism. Bourret’s photographs dress up and ennoble the « paline » to which the gondolas are tied up. Looking at the « polyptychs » (as he calls them, though they might just as easily have been entitled Venice, or, indeed, Untitled), I note that he leaves off at a point where another artist might just be getting started. Gazing at this « minor » lagoon, where the sky strikes the sea, which is to some extent immersed in it, the eye marinates. These photographs are landscapes, seascapes; very Dutch, North Sea. Here, the eye takes in what the brain tears apart. It swallows up what the brain aspires to. The place is desolate, and desolately monotone. But it calls to mind extinguished poetry, as in the Taviani brothers’ films, or Luigi Ghirri’s photographs.
There are three polyptychs. One’s a chalky cream colour, a little fluoridised, a little foamy. The second has more in common with Brice Marden or Ettore Spalletti’s bluish greys, but tinted with Naples yellow. The third, and most loquacious, seems overexposed to tungsten light. For Bourret, the function of polyptychs is to establish the terms of series; to propose a sequence in which each of the autonomous photographs stretches out the effect of presence while avoiding somnambulistic tautology. In each case, there are two registers demarcated by a base line: a horizon picked out with cranes, chimneys and campaniles. There’s no necessary pre-eminence between water and sky; they come to the fore alternately, without visible cardinality or, indeed, clear perspective.
We’re between the Fondamente Nove and Burano, heading for Torcello, in a morning light that Gerhard Richter wouldn’t disown. But the danger about moving further from the city is that of losing it as a subject, a framework. The « paline », used for empirical navigation purposes, are the last paltry, functional objects that ontologically symbolise Venice. A simple stand of tripods, upside down in the lagoon, the historic cradle of the Republic, like the city itself, built on an inverted forest (Tiziano Scarpa’s whimsical Venice is a fish), seems to be the subject of these photographs. There again… In 1975, x-ray examination of Giorgione’s Tempest revealed numerous repaintings that gave the lie to a variety of iconographic exegeses and hermeneutics. The historian and archaeologist Salvatore Settis compiled all the different interpretations, and concluded, with amusement, that the question of the subject (or non-subject) remained open. He also suggested that this was the first work of art whose commissioning was not accompanied by preconditions. Gabriele Vendramin was simply paying for a painter’s caprice.
It was in Florence that Stendhal’s cultural overdose occurred. And it was a Florentine psychiatrist, Graziella Magherini, who defined the syndrome. But it could have happened elsewhere: Grenoble (the hated city), Rome, Milan (especially), or Venice. And if one were to imagine a « Nietzsche syndrome », where would it be located? In the Engadin, or in Turin? In Venice, perhaps. Pretty much everything about Venice enchants me. It’s an unsinkable steamship of business (in the worst sense of the word). And kitsch. In Contre Venise (in favour of Naples), Régis Debray voiced the opinion that La Serenissima smelled of death. The city itself, no; but the lagoon, yes. Venice: an absolute masterpiece? Absolutely. The only real shock, after New York. (After Sana’a, Bourret would say.) Visiting Venice in a private capacity, and instantly fleeing, because the addiction’s so strong. The Venice syndrome avoids the suffocation implied by that of Stendhal, while remaining, involuntarily, impregnated by that of Stockholm. And at this point I might set out some examples of personal symptoms and rituals, both respectworthy and real. From each of my journeys to Venice I bring back a fragment of brick: seventy, so far. In my computer, I have an uninterrupted shot of a trip down the Grand Canal. I always take along the National Geographic guide, and a rare military map on a scale of 1:25,000, which I never consult. I denounce my past self-incarnations as a tramp in boats: under tarpaulins, with the remains of fish; in a beached gondola with its period « felze »; or on luxurious red Chesterfield upholstery in the open rear cabin of a motoscafo in the Regione Veneto. But arriving in Venice, as such, is what moves Eric Bourret most, whatever the means of transport. No melancholic departures, on the other hand. In fact, I think that what he prefers, as he puts it himself, is to « take the metro ». The high-altitude walker likes to find himself standing steady on the central platform of a quivering vaporetto. Bourret, finally, at zero metres above sea level. Philippe Sollers prefers the plane from Paris, when, over the Alps, the pilot tips the wings so that the passengers can see Mont Blanc. Blaise Cendrars, the globetrotter, came by boat, in the half light of Riva degli Schiavoni. But it’s unquestionably the train that best elongates space. Kierkegaard noted how, when travelling, one’s perceptions are affected by whether one’s facing forward or backward. As regards Venice, I suggest that the former should be the case when arriving (for the epiphany), the latter when returning to Mestre, so as to see the city disappear. And it’s in Mestre that the feeling of seasickness finally fades. Even with your eyelids shut, you continue to see. But your eyes grow weary. And this is the point where the diaphanous hologram of the Venetian tessiture appears.
Pierre Padovani, 2015