Celui qui sait respirer l’atmosphère qui remplit mon œuvre sait que c’est une atmosphère des hauteurs, que l’air y est vif. Il faut être créé pour cette atmosphère, autrement l’on risque beaucoup de prendre froid. La glace est proche, la solitude est énorme – mais voyez avec quelle tranquillité tout repose dans la lumière ! Voyez comme l’on respire librement ! Que de choses on sent au-dessous de soi ! (Friedrich Nietzsche, Ecce homo – « Comme on devient ce qu’on est », 1888, § 3.)
Je me détachais du spectacle « restreint », la tête à nouveau perdue dans la gueule de l’espace immensément béant qui m’avalait, m’avalait plus avant.
(Henri Michaux, Le dépouillement par l’espace, 1964.)
Ne devrait recevoir le nom d’artiste que celui dont les œuvres entraînent l’imagination dans un ailleurs, lui procurent des points d’appui, des points de rebroussement, des points d’élan, tout un itinéraire raffiné, inattendu. L’œuvre fonctionne alors comme un mandala, une matrice pour une contemplation qui est action. Elle établit des circuits d’énergie à travers nos corps et la cartographie de chemins inédits dans un espace à la fois physique et spirituel.
Lorsque pareil guidage se produit, un trouble se déclare à même l’apparence, tandis qu’un décalage surgit entre la vision externe et l’impression interne. Le senti lui-même entre en lutte contre le sensible. La simplicité se montre trompeuse : elle est, au fond, tout sauf simple car elle se retourne contre elle-même. C’est que, comme l’enseigne une étymologie suggestive, elle n’est pas exempte de pli (sine plica) mais au contraire, pliée au moins une fois (semel plicata). À la fois exhibée et cachée, elle revient et se cherche, comme un serpent qui incline sa tête vers sa queue. Point d’essence stable, mais des apparences fugitives. Le moindre élément se défait et manifeste sa non-coïncidence avec soi.
Immergeons-nous par l’esprit dans l’atmosphère fine et glaciale des hauteurs : une tranquillité infinie nous gagne ; le monde sublunaire s’efface, progressivement gommé par un rayonnement silencieux. Se donne comme sublime ce par rapport à quoi tout le reste devient petit. Debout, devant une haute montagne, reconnaissons Zarathoustra pris dans son envol : il tient entre ses mains le globe terrestre, il en goûte et évalue la légèreté dans la grande balance cosmique et décide alors de donner la palme à la légèreté instantanément gagnée. Les véritables justes ne sont-ils pas les moins pesants, eux qui, dans tant de traditions, s’élèvent avec grâce et majesté vers le ciel ?
En rêve, dans le dernier rêve de l’aube, je me trouvais aujourd’hui debout sur un promontoire – au-delà du monde, je tenais une balance et pesais le monde. […]De quel regard assuré mon rêve dominait le monde fini ! D’un regard où il n’y avait ni désir du nouveau, ni regret du passé, ni crainte, ni prière .
Il y a dans le sublime une sorte de jugement dernier. C’est l’apparition d’une nouvelle aune, d’une norme inédite, qui modifie de fond en comble notre rapport aux choses. L’imagination, devenue prodigieuse, s’érige en seule juge. Lorsqu’on se laisse emporter par son élan souverain, comment croire une seule seconde à la séparation du jugement esthétique et du jugement moral ? L’art répond à une injonction sacrée, bien plus forte que toutes les autres : peins-moi, photographie-moi, garde trace de moi ! Mais cela, non par curiosité ni par nostalgie, ni par peur, ni par souhait fugitif, mais par la sainte ardeur de répondre, de recevoir et de donner. De l’apparence et de l’impression, comment alors décider si l’une l’emporte ou non sur l’autre ? Un chemin se fraie : seul, soudain, dans l’infinité des possibles. Mais un chemin qui ouvrira peut-être d’autres chemins.
Lorsqu’on rencontre une œuvre d’Éric Bourret, il est difficile de ne pas se sentir happé dans un autre monde. Tout se passe comme si, brusquement, l’air des cimes enneigées envahissait les lieux et pulvérisait murs et toitures. On entre dans la gueule ouverte de l’espace et on se laisse dériver à son rythme, guidé, pris en charge par une puissance immense et délicate. Le dépouillement est intense : désengorgement organique, allègement musculaire…, tout notre corps réagit, avant même que nous lui ayons donné notre assentiment. Un air pur et glacé entre dans notre poitrine, intensifie la capacité de vibration, véhicule une nouvelle énergie. Un grand silence se fait.
Pourtant on est paradoxalement moins frappé par la massivité de la montagne ou par la puissance du ciel que par l’envers des choses, leur « désapparition », leur « fantômisation ». L’air perd son oxygène, les sens se réduisent, le blanc devient vorace et avale le monde. L’extrême de la présence se renverse dans l’extrême de l’absence ; et cette désubstantialisation, au lieu de bloquer l’essor de l’imagination, lui ouvre des voies précises, déclenche un onirisme accru et permet le retour à une forme de vision qui traverse, cette fois, l’apparence, la repétrit. Est-ce le même monde qui surgit, triomphant de l’épreuve et rayonnant d’une nouvelle lumière ? Ou bien est-ce l’envers des phénomènes, de troublants miroirs, des labyrinthes sans fin ? Pourquoi donc le sentiment d’évidement, de kénose, est-il si puissamment lié à la démultiplication des contours et des ombres ?
Essayons de comprendre le protocole de cet art singulier en analysant successivement les rôles joués par la marche à pied, par la surimpression des prises photographiques, par le choix des paysages du Toit du monde et d’un déluge de blancheur, avant d’étudier les modes d’entrée paradoxaux dans la montagne, qui en résultent. Éric Bourret refuse tout pittoresque et tout sensationnel et travaille, au contraire, à des gommages très concertés. L’homme disparaît-il entièrement ?
S’affichent sur les première et quatrième de couverture de notre livre une paume gauche ouverte et une polaire bleu ciel qui appartiennent d’évidence au corps de l’auteur échographié. La paume répond à travers l’histoire aux émouvantes mains que nos ancêtres de l’époque magdalénienne ont peintes au pochoir sur les parois de leurs grottes pour marquer jusqu’auprès de nous leur présence. Chez Éric Bourret, cette main et ce thorax affirment la volonté de ne pas se présenter à travers un seul nom propre mais de se montrer « dans » son corps et de renoncer à la figuration du visage au profit d’organes tout aussi centraux. La main aux doigts déployés indique l’ouverture au monde : c’est l’instrument du toucher, de la palpation, du faire par excellence ; à elle est réservée toute la « manipulation » de l’appareil photographique. Le thorax, quant à lui, est le boîtier du cœur, siège de l’intelligence dans la philosophie chinoise : l’appareil photographique en constitue l’extension.
Imaginons donc ce « piéton d’altitude », comme il aime à se qualifier, avançant sous la neige glacée qui saupoudre sa polaire et rend ses organes transparents. Pris dans la gueule de l’espace, il enchaîne, jour après jour, semaines durant, des pas à des clichés et des clichés à des pas. Qu’est-ce donc qui le meut ainsi ? Se vouer à l’espace, à ses altitudes, à ses immensités laiteuses, cristallines, nacrées, est-ce s’en laisser posséder, s’y abîmer, ou bien nouer des relations réciproques dans lesquelles le corps et l’espace échangent leurs valeurs, se compénètrent, s’accroissent mutuellement ?
Et pour nous, spectateurs entraînés par ces œuvres, transformés sous leur égide en acteurs esthétiques, sont-ce de nouvelles possibilités de rapport à l’espace qui se dessinent lorsque nos corps croient s’étendre, se souder abstraitement à l’air vivifiant et raréfié des cimes ? Après avoir contemplé les œuvres d’Éric Bourret deux demi-journées de suite dans son atelier de La Ciotat, je me souviens comme je respirais à poumons agrandis, me sentais davantage liée au sol et lancée dans l’univers. Cet agrandissement de l’être va au-delà d’un simple plaisir esthétique : nous approchons du foyer même de la vitalité. « L’homme authentique respire avec ses talons », écrit Tchouang-tseu, « l’homme ordinaire avec sa gorge ».
Marcher à pied n’est pas un pléonasme, car on peut marcher avec d’autres organes que les pieds : avec les genoux, les coudes ou les mains, sur la tête, sur le dos… Ce verbe signifie d’abord fouler, presser, pétrir et implique donc un certain rapport avec la matière ; et il prend ensuite le sens de « fonctionner » lorsqu’il concerne les machines. Qu’y a-t-il donc de si remarquable dans la marche à pied ? En apparence, rien. C’est la chose du monde la plus facile, l’acquisition la plus naturelle, la caractéristique la plus évidente de l’être humain. Pour marcher au sens ordinaire du terme, on n’a besoin que de ses jambes et de ses pieds.
Pourtant se dresser sur ses pieds en s’appuyant sur le sol, libérer ses bras de tout appui, lever la tête vers le ciel et avancer dans le vide, cela a d’abord été une véritable prouesse de l’être humain, chaque fois renouvelée par le petit d’homme, avec ivresse et fierté. Je me rappelle avec reconnaissance ce jour où Maman m’avait attendue, afin que ce soit vers moi que mon fils fasse ses premiers pas : il titubait et je reculais en tendant mes bras vers lui… Le monde commençait.
Se tenir verticalement et avancer à l’aide de ses seuls pieds a longtemps été porté à la gloire de l’homme ; car il est aisé d’oublier que nous partageons cette aptitude avec les singes et que nous sommes fort inférieurs aux oiseaux qui se libèrent de la pesanteur en déployant leurs ailes. Rappelons comment, après Homère et Platon, Ovide célèbre la verticalisation qui fait la sublimité de l’espèce humaine.
Tandis que, tête basse, tous les autres animaux tiennent leurs yeux attachés sur la terre, le créateur a donné à l’homme une face sublime (os sublime) ; il a voulu lui permettre de contempler le ciel, d’élever ses regards et de les porter vers les astres .
Si la marche atteste la vocation de l’homme au sublime, elle tend à constituer depuis quelque trois siècles un véritable acte de résistance contre une modernité trépidante dont nous voulons refuser certaines contraintes. Comment éviter d’être transformés en marionnettes, récuser une agitation mécanique et travailler à un contact plus vrai avec nous-même, avec le monde, avec autrui ?
La marche est d’abord et avant tout une affirmation d’autonomie ; aussi bien est-elle le fondement d’un art, d’une culture, d’une philosophie. Marcher, une philosophie, tel est le titre du beau livre de Frédéric Gros, qui s’ouvre sur la thèse essentielle selon laquelle « marcher n’est pas un sport » et qui analyse les multiples « libertés » bien concrètes que nous gagnons à pratiquer durablement cette activité ancestrale . Nulles techniques pointues et difficiles à acquérir, nuls scores obsessionnellement surveillés, nulles joutes avec autrui. Mais la prise de conscience des « illusions de l’indispensable », la libération du temps grâce au goût retrouvé de la lenteur, la découverte du « grand air » comme lieu primitif d’habitat, la quête ludique d’abris auxquels la nature fournit elle-même.
Tous les enfants recommencent l’histoire du monde dans quelque mesure, et aiment à rester au grand air, même lorsque le temps est humide et froid. Ils jouent à la maison comme ils jouent au cheval, par instinct. Qui de nous a oublié l’intérêt qu’il portait dans son enfance à des plateformes de rochers, à l’entrée d’une caverne ? C’était là l’aspiration naturelle de ce qui survit en nous de l’ancêtre primitif .
Chacun d’entre nous aspire à revivre au fond de lui-même les commencements d’une histoire qui est celle de notre espèce. Mais le refus du personnage social, s’il est obstiné et durable, exige de sévères sacrifices. On ne consent pas impunément à l’inconfort, l’insécurité, l’isolement… Et les retrouvailles avec un mode de vie primitif ont beau enivrer, elles ne laissent pas de faire vaciller. De quoi témoigne le cri si troublant du marcheur :
La liberté, en marchant, c’est de n’être personne, parce que le corps qui marche n’a pas d’histoire, juste un courant de vie immémoriale. Ainsi sommes-nous une bête à deux pattes qui avance, juste une force pure au milieu des grands arbres, juste un cri. Et souvent en marchant, on crie pour dire sa présence animale recouvrée .
Le propre du cri est d’établir une jonction entre l’animal et l’humain : c’est la naissance de l’expression comme telle, avec le déchirement qu’elle suppose. La présence de l’intimité y devient forcenée : elle tressaille et accouche. On songe au cri de la parturiente, où se mêlent la douleur et la joie de la délivrance, l’orgueil insensé de la mise au monde, l’ivresse de la mort conjurée… Être civilisé, c’est savoir reconnaître dans « le cri » le non plus ultra qu’il suppose ; c’est écouter son propre cri, tenter d’en penser la virulence.
Ce cri solitaire ne naît, assurément, que de la vraie marche, autrement dit d’une marche qui ne se confond pas avec la simple promenade, la flânerie, ou même le pèlerinage. Car la promenade satisfait au besoin d’hygiène, au désir de se montrer, à l’envie de rencontres humaines, dans un espace balisé (qui est souvent un parc ou un jardin), suivant un itinéraire largement prévisible. La flânerie, elle, suppose une foule citadine, dans un espace de captation : flâner, c’est glaner. Quant au pèlerinage, il subvertit le temps immémorial de la marche par l’impatience de l’arrivée au lieu tant désiré.
Pourquoi donc marcher ? Quelle est la finalité de cet acte, dès lors qu’il s’oppose au sport et qu’il refuse, à titre de fins, le divertissement de la promenade, la frivolité de la flânerie ou la volonté de salut du pèlerinage ? La fin de la marche serait-elle la marche elle-même ? Mais il ne suffit pas de dire que le corps est fait pour le mouvement. Notre corps n’est pas, non plus, un simple sac de peau qui nous tiendrait enfermés. Non, de même que notre esprit s’élance par-delà les frontières de l’espace, de même notre corps dépasse sans cesse les limites qui lui sont assignées. Notre admiration n’aide ni les arbres à pousser, ni le soleil à resplendir, comme l’écrit Thoreau avec autant d’humour que de profondeur.
Il est vrai que je n’ai jamais sérieusement aidé le soleil à se lever, mais, n’en doutez pas, ma seule présence était de la première importance.
Souvent en automne, et même en hiver, j’ai passé des journées hors de la ville, essayant d’écouter ce que disait le vent, pour l’emporter et le transmettre par express .
Un étrange devoir émane de la nature, comme si elle insistait pour que nous allions à sa rencontre, que nous la regardions et l’écoutions, au lieu de glisser à côté de ses plus grands spectacles, dans l’indifférence, l’ingratitude et la morne stupidité. Ainsi, Éric Bourret, le marcheur, semble-t-il, lui aussi, répondre à un impératif né du paysage : « Regarde-moi, viens me contempler longuement, à toutes les heures, dans les lieux les plus élevés et les plus difficiles d’accès, n’épargne point ta peine ».
Dans l’art qui nous touche profondément, résonne une injonction éthique : il faut y aller, savoir prendre des risques, s’offrir à la gueule de l’inconnu. Et toute la difficulté, alors, c’est de savoir comment arrêter, retrouver notre petit moi, le défendre. Tout est trop immense, trop puissant. Nous nous sentons virevolter, trop vulnérables et bientôt entièrement « vulnérés ». « Je frotte mon corps au paysage », dit éloquemment Éric Bourret : tout fait corps dans un corps à corps généralisé. Et le problème est de ne pas se montrer indigne de ce qui surgit, de rester ouvert aux transformations, de s’attacher, sans doute, mais de maintenir les attaches fluides.
Est marcheur celui qui parvient à utiliser son corps comme un instrument pour transformer le proche en lointain et le lointain en proche, élever le bas et abaisser le haut, sentir les volumes et pas seulement les surfaces. Ainsi existe-t-il une connaissance intime du paysage que seule la marche à pied permet d’acquérir ; car ses instruments se trouvent dans le marcheur, dans son propre corps et s’adaptent donc très finement au paysage, dont ils permettent moins la représentation objective que la lente fréquentation. Comme l’écrit Giono :
La marche à pied ou, plutôt, le procédé de la marche à pied, c’est de se transformer en loupe ou en télescope. […] Le plus magique instrument de connaissance, c’est moi-même. Quand je veux connaître, c’est de moi-même que je me sers, c’est moi-même que j’applique, mètre par mètre, sur un morceau du monde, comme une grosse loupe. Je ne regarde pas le reflet de l’image : l’image est en moi. Le grossissement, c’est au milieu de mes nerfs, de mes muscles, de mes artères et de mes veines qu’il se développe. […] À ce moment-là, le monde extérieur est dans un mélange si intime avec mon corps qu’il m’est impossible de faire le départ entre ce qui m’appartient et ce qui lui appartient .
On ne voit pas qu’avec les yeux, on ne voit pas qu’avec son simple appareil oculaire : on voit avec son corps tout entier. La photographie se prend et se développe d’elle-même à travers nos systèmes osseux, musculaire, nerveux et sanguin, qu’elle met à contribution pour former toutes sortes de lentilles, de diaphragmes, d’obturateurs et de déclencheurs, de pellicules même. Notre corps se laisse alors guider et écrire par le paysage : il se refaçonne à son contact. La distinction entre intérieur et extérieur s’efface : « je » entre dans le paysage et le paysage entre en moi. Comme dans l’amitié, je ne sais plus ce qui est tien, ce qui est mien.
Sans doute faudrait-il alors devenir somnambule à l’instar de Victor Hugo qui se disait « somnambule de la mer ». Nous avons bien appris à distinguer entre « sommeil profond » et « sommeil paradoxal », tels que les a définis Michel Jouvet ; mais il importe tout autant de faire le départ entre la « veille paradoxale » qui élargit considérablement notre univers, et la veille habituelle, simple et restreinte, dans laquelle nous concentrons notre attention. Ce somnambulisme léger qui nous ouvre au monde est un état infiniment précieux, à condition, du moins, que nous sachions en sortir à temps et empêcher les effets qui menacent notre intégrité.
Comment rendre le mouvement très lent du paysage dont nous sommes enveloppés ? Immergé dans le paysage, Éric Bourret le laisse agir en lui et déclenche six ou neuf prises de vue sur le même négatif. Chacune des saisies subit à son tour une désintégration et ne se concrétise que partiellement sur la pellicule. Le résultat est une seule image : non plus un instantané, mais un feuilleté d’instantanés. De là un léger tremblé qui démultiplie les contours et une indétermination saisissante qui permet de sentir la nature profondément vibratoire des choses. Le temps s’intègre à l’espace et l’onde au corpuscule.
Tout se passe ensuite au laboratoire. Éric Bourret fait un choix drastique parmi les images issues de sa fréquentation du paysage et en retient à peine 2%. À la tension de la chair sentante qui permet la multiplicité des photographies et est en quelque sorte aveuglément artiste, succède la primauté de la vision qui prend le relais en imposant ses choix. De la veille paradoxale on passe à une veille limitée qui garde, certes, les suggestions de la marche mais opère des sélections : il faut trier, choisir, cadrer, modifier, tout en s’efforçant de réactiver le souvenir de l’appartenance à un paysage immémorial, où l’on n’avait plus accès à soi-même que comme à un être qui venait du fond des âges.
Regardons le visuel folio 83. Éric Bourret ne se contente pas de brouiller la ligne de démarcation entre montagne et ciel grâce à la coulée de blancheur qui les fusionne et aux ondulations gris perle dont on ne sait si elles appartiennent à l’ourlet des cimes ou au flottement de bas nuages ; il travaille également sur la limite du visible et réussit à rendre des degrés d’impermanence. Ainsi s’attache-t-il au « minime » et le démultiplie-t-il en le fondant dans le paysage ou en le faisant saillir. Le plus surprenant tient à deux brindilles qui, en bas et à gauche, entrent en conversation : ces minimes-là sont incroyablement grandes et visibles ; on comprend que l’immobile se laisse mieux photographier que le mobile. Les êtres humains, eux, ont beau investir le paysage : on les voit rétrécir et s’effacer, comme si leur marche les faisait « désapparaître », plus ou moins absorbés par la blancheur de l’air.
Une autre œuvre est quasiment abstraite : si l’on s’attache à la diagonale qui la coupe en deux, à faible distance des angles droits du cadre, on est surpris de son incroyable douceur. Elle provient du flottement de la pente qui perd sa raideur en se fondant dans le ciel, et du côté grumeleux de la neige qui emprunte à la terre son refus du lisse. La kénose, l’évidement, est intense, mais permet l’installation d’une sérénité qui se propage par lentes ondes. Nous touchons à une essence mobile du cosmos, incroyablement sensuelle, accessible aux vivants : le foyer des transformations.
Venons-en à un véritable manifeste (folio 63 ). Le tremblé des chaînes de montagnes et du premier plan est intense : nous avons beau saisir que les mêmes contours ont été six fois repris et que la gageure est de voir simultanément des images qui n’ont été appréhendées que successivement, le malaise nous gagne et notre vision se brouille : c’est tout notre corps qui participe à la « déconstitution » du paysage et nous comprenons de l’intérieur l’impossibilité de la stabilité visuelle. La montagne ne se laisse pas arraisonner, ses souffles entrent en action, détruisant sans cesse les faibles images que nous en gagnons. L’être humain se fond non seulement dans l’immensité du cosmos, mais dans sa vertigineuse temporalité qui s’étend sur des millions et des millions d’années. Et, encore une fois, nous sommes saisis par les silhouettes grises de nos congénères qui « désapparaissent » bien plus vite que les montagnes, absorbées par la voracité du blanc.
Non seulement Éric Bourret ne travaille qu’en marchant ; non seulement il utilise son appareil photographique comme un nouvel organe permettant des cumuls inédits de sensations ; mais il va chercher ses paysages très loin et très haut. Ainsi, depuis plus d’un quart de siècle arpente-t-il six à huit semaines par an les neiges éternelles de l’Himalaya à plus de 6 000 mètres d’altitude et chemine-t-il entre le Pakistan et le Tibet par les voies lentes et aléatoires ; ce qui ne l’empêche pas de maintenir sa ferveur pour sa terre d’adoption, les Alpilles, la Lure, la Sainte-Baume. Mais lorsqu’on converse avec lui, c’est à peine s’il évoque les conditions extrêmes de certaines de ses marches ou s’il mentionne, par exemple, les terribles glaciers du Ladakh ou du Zanskar qu’il a réussi à traverser entre la Chine et le Pakistan.
Il ne se veut ni explorateur, ni champion d’escalade. Ce qui l’attire sur le « Toit du monde » est tout autre chose qu’une découverte géographique ou un exploit inédit : la dilatation de l’espace et du temps, la plongée dans la cosmogénèse, l’accès au proto-espace, à la proto-temporalité. Notre petit microcosme semble soudain n’occuper qu’une place dérisoire face à la multiplicité des plurivers qui s’imposent à l’esprit.
L’espace euclidien et ptolémaïque devient insuffisant, faux, étriqué ; il importe de le quitter pour des univers plus conformes à ce qu’enseignent la révolution galiléo-copernicienne et la relativité généralisée. En témoigne un texte de Théophile Gautier qui évoque avec force le besoin de trouver, sinon une illustration, du moins un accord de notre vision du monde avec la nouvelle cosmologie :
Quand on habite les villes ou les plaines, il est facile d’oublier qu’on circule à travers l’insondable espace, emporté par une planète gravitant autour du soleil avec une prodigieuse vitesse. […] Les données, si précises pourtant, de l’astronomie semblent presque chimériques, et il vous prend des envies de revenir au système de Ptolémée, qui faisait de notre chétif habitacle le noyau même de l’univers. Les grandes montagnes aident à faire comprendre que la terre est bien réellement un corps céleste suspendu dans l’éther, ayant pris sa figure actuelle après mille révolutions cosmogoniques, une énorme boule de feu qu’enveloppe une mince pellicule solidifiée où peut-être la vie animée n’est qu’un accident temporaire, et l’homme qu’un parasite menacé de disparaître au moindre cataclysme neptunien ou plutonien. Une nutation d’axe, et les océans déplacés submergent la création ; une dilatation des gaz, et le ballon crève, répandant ses laves, avec leurs soulèvements et leurs abîmes. Les montagnes, qui ne sont cependant à la peau de la terre que ce que sont les rugosités à l’écorce d’une orange, ont fidèlement conservé l’image du chaos primitif ; elles représentent les convulsions figées du globe cherchant sa forme au milieu de son immense atmosphère d’acide carbonique, sillonnée d’orages terribles auprès desquels nos typhons et nos cyclones sont des brises printanières .
La découverte de l’Himalaya est récente. Ni Hérodote, ni Ptolémée ne faisaient état de montagnes au Nord de l’Inde ; et les cartographes de la Renaissance s’intéressaient davantage aux contours des continents qu’à leur élévation. Il fallut attendre le XIXe siècle pour que l’intérêt grandissant pour les hautes cimes, en même temps que les vicissitudes de la lutte entre les Russes et les Britanniques pour étendre leur emprise sur le cœur du Tibet, suscitent des explorations de plus en plus systématiques. La première tentative d’ascension de l’Everest, le plus haut sommet de l’Himalaya, ne remonte qu’à 1924 ; George Mallory y trouva la mort. Celle de l’Annapurna par Maurice Herzog, dont plusieurs doigts furent gelés, date de 1950.
Mais ce qui nous concerne le plus, lorsque nous regardons les photographies d’Éric Bourret, tient à la texture géologique prodigieuse de ces hautes chaînes qui forment une muraille blanche et semblent refermer le triangle de l’Inde sur lui-même. Hima signifie « neige » en sanscrit, et alaya « demeure » : l’Himalaya ne se départit jamais de son épais manteau blanc.
Il y a quelque cent quatre-vingts millions d’années, l’Inde était séparée de l’Asie par une gigantesque fosse marine : la mer de Téthys. Mais les plaques tectoniques se rapprochèrent, jusqu’à entrer en une formidable collision. L’Inde se rua littéralement sur le Tibet, si bien que les fossiles et les sédiments marins qui s’accumulaient dans la mer de Thétys furent comprimés et volèrent en éclats, tantôt poussés dans les profondeurs, tantôt projetés jusqu’à des altitudes vertigineuses. Comme l’écrit Robert Macfarlane :
Le point le plus élevé de la surface terrestre se constitua donc dans l’un des abîmes les plus profonds de la terre. Dans la bande de roche jaune qui strie l’Everest juste en-dessous de son sommet, on trouve les corps fossilisés de créatures qui vivaient dans la mer de Téthys .
De l’abîme le plus insondable surgit la montagne la plus élevée du globe. Le sublime ne surgit pas dans la seule dimension d’une hauteur acquise, mais se situe, au contraire, sur un axe de verticalité dans lequel l’extrême de la hauteur (hupsos) et l’extrême de la profondeur (bathos) se rejoignent. Mieux, même : l’abîme marin et la cime enneigée se confondent, au point que les rochers évoquent des monstres aquatiques et que les ondulations montagneuses rappellent les déchaînements des hautes vagues.
Il faut citer ici l’admirable début du Tchouang-tseu qui nous précipite dans un cosmos élargi et abandonne tout anthropocentrisme. Nous faisons d’emblée la rencontre de l’immense cachalot K’ouen qui s’ébat librement dans les flots (« free and easy wandering », comme traduit Burton Watson ). Mais le voilà bientôt qui s’extrait bruyamment de l’eau et s’envole très haut, au-dessus des nuages, métamorphosé en un immense phœnix, P’eng.
Le P’eng, dans un élan furieux, prend son essor, déployant des ailes plus vastes que les nuages qui flottent dans le firmament. Profitant de la marée, il s’élance pour migrer jusqu’aux confins de l’océan Méridional – l’Étang Céleste. […] Il fait gicler l’eau sur une aire de trois mille lieues. Poussé par un vent tourbillonnant, il s’élève en spirale jusqu’à une hauteur incommensurable. Il s’en va pour un voyage qui durera six mois. […] Si les couches d’air superposées n’étaient pas assez denses, elles n’auraient pas la force de porter des ailes aussi immenses que celles de l’oiseau P’eng. C’est la raison pour laquelle celui-ci doit s’élever à une altitude de plus de quatre-vingt-dix mille lieues pour trouver sous son ventre un courant porteur ; il prend alors appui sur le vent. […]
Une cigale et un étourneau qui avaient assisté à l’envol du P’eng en firent des gorges chaudes. […] Mais qu’est-ce que ces deux bestioles pouvaient comprendre au P’eng ?
D’emblée, Tchouang-tseu brise avec notre monde quotidien pour nous entraîner hors de notre cadre de pensée ordinaire : « il joue avec les limites du pouvoir de représentation, force l’esprit à suivre sans repères ni assurance l’histoire de cette transformation invraisemblable » ; car l’objet est de « penser hors de soi » et de « libérer la possibilité du grand geste vital », comme l’écrit Romain Graziani . Ce à quoi les cigales et les étourneaux ne peuvent rien comprendre.
Il me semble que la démarche du plasticien Éric Bourret n’est pas sans analogie avec celle de l’auteur du Tchouang-tseu. De même que celui-ci introduit des fictions apparemment improbables et gratuites et refuse de satisfaire à notre goût du vraisemblable, de l’édifiant et de l’utile, de même Éric Bourret nous montre des images impossibles, des images invisibles et déçoit notre goût du pittoresque et du sensationnel. Mais, guidés par un sens profond du « grand geste vital », ils nous conduisent tous deux au cœur de la vie et nous permettent de fréquenter, fût-ce un bref instant, le cachalot-phœnix et l’Himalaya, l’être le plus splendidement vivant et le site le plus fabuleux du monde terrestre.
Restons encore dans le Tchouang-tseu pour étudier son sens aigu du cosmos invisible situé sous le cosmos et des transformations incessantes et spontanées qui le traversent. Non seulement la baleine se métamorphose en oiseau-phœnix ; mais l’homme, s’il se laisse guider par la nature, se montre, lui aussi, capable de quitter l’élément aérien pour se jouer, avec une agilité inouïe, des eaux les plus dangereuses :
Confucius admirait les chutes de Lü-leang. L’eau tombait d’une hauteur de trois cents pieds et dévalait ensuite en écumant sur quarante lieues. Ni tortues ni crocodiles ne pouvaient se maintenir à cet endroit, mais Confucius aperçut un homme qui nageait là. Il crut que c’était un malheureux qui cherchait la mort et dit à ses disciples de longer la rive pour se porter à son secours. Mais quelques centaines de pas plus loin, l’homme sortit de l’eau et, les cheveux épars, se mit à se promener sur la berge en chantant .
On songe à une Sainte-Victoire liquéfiée d’Éric Bourret qui évoque la mer de Téthys s’accrochant à la paroi de l’Everest : de ces eaux de cataracte, vides de tout poisson, vides même de tortues et de crocodiles, pourrait émerger un natif solitaire et chantant, sous les yeux inquiets, perplexes et finalement émerveillés d’un maître et de ses disciples. La blancheur gicle, irréelle : est-ce de l’écume, du sable, de la craie ? L’eau dévale en cascade et ondule à l’horizontale. Des traînées de matière se propagent, comme pour encadrer un escalier liquide. Des effondrements s’enchaînent, la nature entière s’émeut, se chahute, se liquéfie. Quel remue-ménage ! Imaginez là le natif de Lü-leang, prodigieusement à l’aise au sein de ce monde invivable. Soudain son esprit vous semble supérieur au vôtre ; et vous comprenez ce que signifie « penser hors de soi ».
Les poissons deviennent oiseaux ; et les rochers se mettent à glisser sur le sol enneigé ; les cavités se transforment en montagnes bossues et les étendues liquides en plans éternellement glacés. L’abîme d’en bas et l’abîme d’en haut se rejoignent. Parfois on croit voir surgir l’estran sur les cimes, tant le sol est chargé de débris granuleux ou poudreux (folio 33 et 93).
Comment savoir s’il s’agit de terre enneigée ou de mer écumeuse ? Dans une œuvre qui évoque l’origine (folio 7), un rocher d’un noir luisant s’ouvre en éventail, blanchi de quelques éclaboussures, au centre d’un paysage où le ciel et la terre-mer rivalisent d’éclat. La rectitude de la ligne d’horizon fait songer à une perspective marine : les lourds mouvements longitudinaux semblent provenir des déferlantes, cependant que les petites rides brillantes évoquent l’avancement incessant des vaguelettes. Mais le côté onctueux de la blancheur, son aspect de crème fraîche, faussement comestible, renvoie au revêtement neigeux. À la place des épaves, nous voyons alors l’affleurement de la masse rocheuse ; et les traces des congères font oublier les serpentins d’écume.
De fait, à plusieurs reprises, Éric Bourret donne aux minéraux l’allure des habitants des mers. Comparons les sept rochers nageant dans la montagne (folio 35) avec de simples pierres insulaires (folio 89). Dans le premier cas, nous sentons l’air des cimes ; et les formes noires ont beau se démultiplier, leur appartenance à la montagne ne fait aucun doute : les rochers semblent des émergences archaïques qui descendent tranquillement en flottant, tandis qu’à droite, une foule de personnages gravit la montagne à contre-courant. La ligne de côte se démultiplie doucement au sommet, du même gris clair que les ascensionnistes. Au contraire, les pierres insulaires, qui s’écaillent comme de grosses huîtres, ont un effet inquiétant : elles ont perdu leur luisance de granit et semblent refuser tout contour qui les délimiterait. L’espace devient inhabitable.
L’œuvre d’Éric Bourret est hanté non seulement par des roches peu rassurantes, mais par de véritables bouches d’ombre (folio 19). La verticalisation sous un ciel agressif donne à la première un aspect fantastique d’œil mis à nu, tandis que la seconde garde le caractère paisible d’un petit lac fantomatique dans le brouillard. Dans les deux cas, on est saisi par la vitalité du gouffre qui remonte et signale sa présence obsédante par ce qui pourrait n’être qu’une flaque sombre mais qui, dans l’énigme de sa sombre déformation, renvoie à l’ancestrale mer de Téthys, toujours en éruption sur les flancs enneigés.
La blancheur envahit l’espace sous des aspects divers et parfois contradictoires : sensuelle et idéale, chaude et glacée, joyeuse et terrifiante. Dans la photographie très sensuelle (folio 13) ne pourrait-on reconnaître les ondulations douces et nacrées d’un corps féminin, voire l’harmonieux renflement des cuisses, le léger creusement du ventre ? Nous nous étonnons dans la sculpture de ce que le marbre puisse prendre une aussi profonde charge érotique malgré sa froideur et sa dureté. De même, nous sommes saisis de ce que la neige photographiée puisse, malgré son côté glacial et coupant, évoquer la finesse attirante d’un derme chaud et vivant. C’est que l’œuvre prête existence à ce qui n’est qu’en tant que soustrait. Nous croyons pouvoir nous immerger dans une chair tendre et accueillante alors que celle-ci reste à distance, baignée d’une belle lumière d’aube et d’impossible.
Qu’est-ce donc que la blancheur ? Est-ce une couleur ou ce qui dissimule toute couleur ? Mais la couleur elle-même est ambiguë et appartient moins à la chose qu’à son interface avec le monde, ainsi que nous le suggère l’étymologie qui fait dériver color de celare qui signifie couvrir, cacher. Si la lumière blanche est hétérogène, comme l’a montré Newton en décomposant les sept couleurs de son prisme, faudrait-il soutenir que, source de toutes les couleurs, la blancheur serait incolore et viendrait à révéler les autres couleurs comme de simples illusions ?
La blancheur est-elle vraiment un symbole de pureté et engendre-t-elle une « joie juvénile », comme le pense Kandinsky qui la rattache à un « silence vivant », aux limbes, à une « immatérialisation » générale du monde ?
Ce silence n’est pas mort, il regorge de possibilités vivantes. Le blanc sonne comme un silence qui subitement pourrait être compris. C’est un » rien » plein de joie juvénile ou, pour mieux dire, un » rien » d’avant toute naissance, avant tout commencement. Ainsi, peut-être, a résonné la terre, blanche et froide, aux jours de l’époque glaciaire .
Kandinsky oppose les effets du blanc et du noir : sur fond blanc, les couleurs « brouillent leur sonorité et quelques-unes même se décomposent », alors que, sur fond noir, elles acquièrent « une sonorité plus nette et une force accrue ». Mais il n’en tire pas les conséquences qui pourraient remettre en cause sa théorie. Si, en effet le noir sert de faire-valoir aux couleurs, il est bien facteur d’intensification de vie, alors que le blanc qui éteint les couleurs, deviendrait, au contraire, facteur de mort.
Une critique radicale de la confusion du blanc avec une pureté porteuse d’allégresse se trouve chez Melville, frappé de constater que Moby Dick le terrifie moins par sa stature gigantesque, par son front ridé et par sa mâchoire de travers que par son épouvantable blancheur. Bien des efforts ont été tentés pour décrire la monstrueuse baleine ; mais, avoue le narrateur :
Il y avait une autre pensée ou plutôt une horreur vague, sans nom, qui la concernait et qui parfois par son intensité, dépassait complètement tout le reste ; quelque chose de si mystique, voire d’ineffable, que je désespère quasiment de lui donner une forme compréhensible. Par-dessus tout, c’est la blancheur de la baleine qui m’épouvantait .
Les signes mystiques de blancheur s’accumulent autour de Moby Dick : le baldaquin de vapeur qui la surmonte, parfois magnifié d’un arc-en-ciel, ou encore la prodigieuse crinière d’écume dont elle se pare, quand elle brèche.
Voir la blancheur, c’est alors passer de l’autre côté du miroir, avoir la révélation du dessous ignoré des choses, de ce qui constitue leur démonisme :
Bien que nous ne sachions pas où se trouvent les choses sans nom dont le signe mystique donne le soupçon, ces choses doivent exister quelque part. Et bien que, par maints de ses aspects, le monde visible semble formé dans l’amour, les sphères invisibles sont formées dans la peur.
Sans doute Moby Dick n’est-elle que le masque en carton d’autre chose, mais de quoi ? Comment connaître l’inconnu avec lequel l’homme a vraiment affaire, comment franchir la muraille dont nous sommes cernés ? Le visible n’est qu’un résidu, à travers lequel passent des forces, dont nous ne savons rien :
Pour ceux qui manquent d’imagination, il n’y a rien de terrible dans les apparences. Mais pour d’autres esprits, les apparences suffisent quand, examinées sous toutes les formes, elles sont universellement et mystérieusement terribles .
Le surgissement de Moby Dick dans sa blancheur impénétrable, on peut s’en souvenir en regardant une photographie du Ladakh (folio 65). Sur des sommets désertiques et sous un ciel d’orage, une énorme coulée de lave blanche progresse lentement vers le bas, bombant les cercles concentriques de sa robe de nacre et mirant dans le ciel ses rayons descendants. Elle semble pousser vers l’avant une langue de glacier avec laquelle elle joue comme si c’était une simple boule : n’est-ce pas la baleine blanche, informe et omniforme, elle dont le squelette ne permet même pas aux savants de reconstituer l’aspect ? Voici même son corps recouvert de mystérieuses écritures, incisées à la pointe sèche, de manière à former des creux bordés de bourrelets ou de barbes qui lui donnent une singularité irréductible.
Ces tailles ne semblent pas être imprimées sur la surface genre colle de poisson […], elles semblent être vues à travers elle, comme si elles étaient gravées sur le corps même. Et ce n’est pas tout. Dans certains cas, à l’œil attentif de l’observateur, ces tailles linéaires, comme dans de véritables gravures, servent seulement de champ de fond à de nombreux autres dessins, de vrais hiéroglyphes .
Les écritures prolifèrent, comme les contours sextuplés ou nonuplés des montagnes, des roches, des marcheurs… La transparence s’accroît, l’immobile se fait mobile.
Je songe au corps mystérieusement inscrit d’une autre œuvre d’Éric Bourret, que j’aime à nommer Lascaux (folio 71) : « En un sens la première peinture allait jusqu’au fond de l’avenir », disait Merleau-Ponty . Il s’agit d’une montagne animalisée, couverte d’incisions, d’une texture semblable à celle des parois rocailleuses de la préhistoire qui suggéraient aux premiers artistes de l’humanité des dessins d’animaux fabuleux. Ne dirait-on pas un de ces bisons au front obstiné et puissant qui surgissent de profil dans la nuit des grottes ornées ?
Pourtant, en aucun cas, on ne croirait avoir affaire à une photographie. Un graveur très habile nous semble bien plutôt avoir utilisé les anfractuosités du rocher pour isoler le haut de la tête, approfondir l’œil, cerner le mufle et l’encolure. Il a croisé les tailles, créé au brunissoir des ombres profondes, gravé de douces ondulations, fait frémir toute une vie qui sort de la roche. On est dérouté, se demandant ce qui peut procurer pareille impression de gravité, de densité, et même de nuance.
Disons que le motif est perdu, que l’apparence est disloquée. Mais tout se passe alors comme si la déperdition de la perception extéroceptive permettait le surgissement d’un autre type de sensation et d’action. L’exercice de la vision bien circonscrite est, certes, des plus utiles dans la vie quotidienne mais le problème est qu’il puisse conduire, sans l’entraver, à ce véritable travail esthétique dans lequel il s’agit en dernier ressort d’exposer une altérité à une autre et d’essayer de sentir ce qui résulte de cette opération malgré le décalage entre la vision externe et l’impression interne. La première fois que j’ai vraiment pris conscience de ce gouffre entre vision et impression fut lorsque je ne réussis pas à reconnaître une toile de Vieira da Silva que j’avais pourtant vue la veille dans les mêmes conditions et sous le même éclairage : il a fallu que je fasse un énorme effort pour « recomprendre » le mode d’investissement qui avait été le mien et qui m’était resté d’abord inaccessible.
Pareille désinféodation du modèle est particulièrement sensible dans la montagne hallucinée (folio 45) qu’Éric Bourret photographia après avoir passé la nuit sous une tente sur le glacier du Ladakh à -20°. La forme centrale évoque vaguement un chalet au toit glissant, mais ce ne sont qu’écroulements, rafales de neige, gouffres, avec tout juste un surprenant mince parapet. Nous perdons nos points de repères et sommes captivés par le ciel qui semble s’étendre à l’infini. Ce que nous voyons compte moins que la puissance d’appel d’une blancheur très douce. Nous sommes happés, mais sans violence. Point d’hypnose. Nous allons et venons dans la gueule de l’espace. Et l’opposition du noir au blanc semble symboliser nos dernières résistances.
Comparons cette œuvre avec celle que j’ai d’abord eu envie d’appeler profil torve aux cils inégaux (folio 79). Ce profil n’apparaît qu’à certains moments, au début surtout, lorsque nous nous concentrons sur les ombres noires et sur les bancs de neige. Mais les mouvements de la blancheur nous entraînent loin de tout motif. Le mystère prime, sans racontars. Que devient alors la présence humaine ?
On a tendance à croire que la peinture occidentale a toujours peint le montagnard non seulement sans visage et de dos, mais de surcroît solitaire, orgueilleusement campé au centre d’un paysage panoramique et brumeux. Cette formule de la « Rückenfigur » fut, de fait, inventée par Caspar David Friedrich et connut une gloire immédiate, mais sombra presque aussitôt dans l’oubli. Si le peintre fut bien reconnu comme le promoteur d’une véritable « révolution » picturale que dénoncèrent les tenants du paysage classique, il fut assez vite négligé de son vivant même. Et c’est seulement au début du XXe siècle qu’il commença à être réhabilité principalement grâce au norvégien Andreas Aubert .
En fait, c’est la singularité du Promeneur au-dessus de la mer de nuages (1818) qui frappe historiquement : occupant la place du point de fuite, il semble garder une frontière ou plutôt matérialiser la jonction mystérieuse entre deux mondes dénués de commune mesure. Il constitue un seuil paradoxalement infranchissable et mobile. D’un côté, je ne saurais passer à travers le corps du promeneur pour voir ce qu’il me cache ; de l’autre, le promeneur tend à entrer dans le paysage, à s’y réifier, à intégrer le monde des choses et s’y fondre, comme si l’espace pictural pouvait s’ouvrir à l’être humain et l’absorber en lui, ainsi que le rapportent maintes anecdotes chinoises. Le sublime naît du malaise qu’il me faut surmonter : ce qui me rapproche me sépare ; ce qui ouvre mon regard l’obture. L’interface avec l’Ailleurs reste problématique : le personnage de dos me dissimule le paysage qu’il s’approprie. La face réfléchissante du miroir n’est pas tournée vers moi : l’essentiel m’échappe et se déroule entre le paysage et la figure de dos. Il y a bien réflexivité mais ma réflexivité est seconde par rapport à une réflexivité initiale .
Que se passe-t-il donc avec la naissance de la photographie de haute montagne ? « On voit beaucoup de monde et personne en particulier », note Michel Jullien. Comment expliquer cette désindividuation ? Le photographe rend spectaculaire ce qui n’est pas fait pour le spectacle et jette ainsi un trouble dans notre esprit. Autant, en effet, un funambule organise en spectacle sa confrontation au vide, autant un alpiniste, lui, est pris dans un corps à corps avec la montagne et ne saurait agir pour la simple montre. Or, quand on regarde les images d’alpinistes, leurs corps apparaissent bizarrement trop sombres, trop présents ; parfois, le goût de l’épate ou la volonté pédagogique entravent l’identification. Mais une inquiétude se fait également jour : le marcheur de haute montagne ne devrait-il pas rester invu et anonyme, tel le monstre innommable créé et abandonné par Frankenstein, qui est le premier personnage romanesque à survivre dans la mer de glace en y dissimulant son visage ?
La fable de Mary Shelley […] préfigure l’histoire de la photographie de montagne, du moins jusqu’à la Seconde Guerre mondiale. […] Comme si cacher son propre visage aux autres et à soi-même, annihiler son identité, revenait à accomplir les conditions psychologiques de l’ascension .
Forme de sagesse ou simple superstition ? Si la liberté dans la marche et dans l’escalade, c’est de n’être personne en particulier mais un corps qui marche ou qui grimpe, on comprend la nécessité de gommer des traits trop particuliers. À la limite même, plus grand serait l’amour de la montagne, plus nécessaire aussi l’effacement du visage de celui qui l’éprouve.
Rapportant de façon poignante la disparition d’un jeune homme solitaire qui aurait dû devenir son oncle, les recherches conduites par un père et un frère obstinés, la découverte du corps un an plus tard, la photographie de la bière sur un brancard, Claude Reichler s’étonne d’un fait :
Si je ne recherchais des traces que dans ma seule mémoire sans recourir au portrait, je retrouverais difficilement son visage, qui n’a pas pris corps pour moi. À ma connaissance, personne dans la famille n’a rassemblé les vestiges de cette vie coupée. Il y a là un symptôme remarquable : toute cette mémoire si lourde, et derrière elle un grand vide .
La légende s’est fabriquée avec le paysage, avec les vivants, autour du cercueil. Elle n’a pas fait revivre le mort : elle l’a fondu à jamais dans le Vanil Noir qui en avait pourtant restitué le corps après l’avoir dissimulé dans une faille.
Sur les photographies d’Éric Bourret, les hommes sont dénués de visages et avancent sans grâce, la tête baissée : ce sont des ombres d’un gris léger et de faible dimension ; et leur immixtion évoque à la fois la solitude et la foule, du fait que les taches que forme chacune d’entre elles dans le paysage sont sextuplées ou nonuplées. Pour cette double raison, nous tendons à oublier les circonstances de la photographie et le fait même qu’il y eut photographie. Après tout, ces pâles personnages auraient tout aussi bien pu jaillir de l’inspiration d’un graveur, d’un dessinateur ou d’un peintre, soucieux de rendre un paysage inscrit dans leur seul cœur.
Devant pareilles œuvres, le terme « tableau » vient souvent à l’esprit, malgré son inadéquation. Dans l’œuvre, folio 15 , nous sommes frappés par la juste distance entre les marcheurs solitaires et démultipliés : l’avant-garde et l’arrière-garde sont dans un rapport identique d’éloignement aux deux personnages-groupes centraux. Le tremblé de tempête de neige où semble prise la montagne, donne l’impression que le chemin tourne vers nous juste en bas. Pareille position des personnages m’a évoqué celle des fidèles dans le Paysage avec les aveugles de Jéricho de Philippe de Champaigne, à San Diego : le cortège va de droite à gauche, puis vire au-devant de la scène de gauche à droite, pour redescendre ; mais l’espace clair et onirique des hauteurs et de la droite contraste avec l’espace sombre et matérialisé du bas et de la gauche. Rien de tel dans les œuvres d’Éric Bourret, où une même blancheur aérienne, à la fois compacte et légère, envahit tout l’espace.
Même dans les ombres en perspective (folio 9), où une déclivité de terre noire équilibre et prolonge la file des marcheurs, dessinée selon la perspective à projection centrale, le noir ne cesse d’être utilisé comme un faire-valoir de la blancheur. Pareil parti pris est encore plus sensible dans marche vers un ciel noir (folio 91). Deux ou trois personnages, démultipliés sous forme d’ombres, montent vers la droite, cependant que le ciel creuse un gouffre noir, dont le bord inférieur se décompose en myriades de filaments et de poussières : la blancheur des nuages et celle du sol s’unissent pour marginaliser cette apparition de noirceur qui semble alors provisoire et comblable.
Pourquoi ne pense-t-on pas aux œuvres d’Éric Bourret comme à des photographies ? On est frappé par la savante construction de l’image, par l’usage très fin du dessin, par l’effacement des limites, par la démultiplication de l’horizon et des figures. La fonction indicielle de l’image n’entre pas en lutte avec sa fonction iconique ; on ne se soucie guère de l’exigence d’authentification qu’on fait parfois abusivement porter par la photographie, en demandant à l’indice de nous dire non seulement que quelque chose s’est passé mais ce qui s’est passé.
Curieusement, il n’y a aucun photographe auquel je sois tentée de comparer ses œuvres, alors que je songe souvent à un graveur peintre, Maurice Maillard , qui, parti de l’abstraction, déploie des paysages minéraux selon une palette de noirs et de gris d’une grande intensité, et à un dessinateur, Albert Palma , qui multiplie inlassablement de très minces traits de plume pour développer des réseaux, tracer toute une hodologie. Ces trois artistes font de leurs œuvres les matrices de rêves qui se poursuivent à travers toutes sortes de connexions aussi précises que mystérieuses.
Mais de ces trois artistes, Éric Bourret est le seul à peindre des personnages. Chez Maurice Maillard et chez Albert Palma, nulle ombre, nulle démultiplication d’ombres. L’humain a disparu. Aucun animal, aucun végétal. Nous avons atteint le comble du dépouillement.
Que se passe-t-il donc de spécifique, en liaison avec la trace de l’homme, avec son ombre qui se sextuple ou se nonuple ? Je voudrais, pour essayer de le comprendre, analyser trois images dans lesquelles les ombres occupent le centre exact d’un paysage chaque fois très horizontal.
Un homme seul surgit, comme en radioscopie, arrêté au croisement de plusieurs voies plus ou moins larges ou étroites : il se donne comme une ombre unique. Les traînées gris bleuté sur la neige semblent de même nature que les nuées du ciel. Et on songerait au Moine au bord de la mer de Friedrich, n’était le fait qu’un immense réseau de traces, inimaginable sur la mer, assurait au sol une présence obsédante.
Dans une autre œuvre, l’ombre est au moins nonuplée. Le blanc a sans doute absorbé certaines figures et on ignore le nombre exact des personnages. Les traces, cette fois, ondulent ; et il est impossible de bien distinguer la ligne d’horizon. Une blancheur lisse, laiteuse, homogène, envahit tout le paysage.
Dans une troisième œuvre qui s’éloigne de ce quasi-monochrome, un paysage très contrasté forme le cadre d’un groupe d’ombres réunies autour d’une prêtresse, ou du moins autour de ce personnage que sa haute taille, son bras tendu et son vêtement pourraient désigner comme telle (folio 75). Ici, l’être humain trouve sa place à la jonction du ciel et de la terre. Sa verticale s’impose : la montagne en mouvement, c’est lui. De là la grande sérénité qui émane des œuvres d’Éric Bourret : le « paysageur » ne fait pas seulement partie du paysage, le paysage fait partie de lui. L’intérieur devient extérieur et l’extérieur intérieur.
Finalement ces œuvres ne comblent pas notre désir de voir mais le déçoivent plutôt : fallait-il vraiment aller si loin, si haut, pour les réaliser ? Un dispositif plus accessible n’aurait-il pas suffi ? Force est pourtant de constater que notre besoin de sentir et d’imaginer s’y trouve prodigieusement soutenu et relancé. Il nous faut des écrans peu encombrés, des points d’appui, des lieux d’accueil, des rampes d’élancement… Mais il nous faut aussi des sensations qui ne soient pas des hallucinations, qui nous raccrochent au monde et nous empêchent de plonger dans un délire impartageable, purement autistique. Nous voulons du vide, mais du vide ceinturé, balisé, cantonné : un vide devenu contemplable.
Aussi bien les ombres humaines démultipliées prennent-elles valeurs de pictogrammes ; et elles emblématisent nos différents modes d’apparition et de « désapparition » . Il ne s’agit guère d’une pure et simple disparition, d’un évanouissement intégral de l’homme dans le paysage, mais d’une « désapparition » conçue comme le corollaire de l’apparition. La difficulté tient alors au fait que les différents profils du phénomène, ses esquisses (Abschattungen) ne se complètent pas dans un quelconque espace absolu mais coexistent dans la simultanéité. Le temps se met à rétrécir et à se compliquer par suite de ces raccords virtuels qui prolifèrent. La démultiplication est condensation.
Pour conclure :
Un nouvel idéal : devenir espace, s’espacifier
Prendre non seulement de la distance, mais de la hauteur ; ne pas seulement marcher sur le sol, mais se sentir enveloppé d’espace, pénétré d’espace, dedans et dehors à la fois ; laisser l’air se déployer dans sa gorge, sa poitrine, ses artères, son corps entier ; ne pas seulement grandir et s’élever, mais se dilater, se confondre… Ce pourrait être un idéal de vie. « Ceinturés de vent », ainsi appelait-on dans la tradition brahmanique les renonçants (samnyāsin) qui quittaient rituellement la vie familiale et sédentaire pour errer dans le grand air. Légers, aspirés par l’espace. Nous ne sommes pas les uns à côté des autres, partes extra partes, condamnés à l’extraposition ; mais nous ne cessons de mêler nos souffles et nos énergies, de les emprunter, de les refondre dans une fabrique qui nous dépasse.
Juchons-nous donc imaginairement sur la hauteur et parcourons avec Éric Bourret le « Toit du monde ». Un nouveau désir surgit, non de conquête obsessionnelle et de rivalité avec nos congénères, non de surhumanité – Éric Bourret n’est pas en ce sens nietzschéen – mais de dilatation et d’ouverture à un espace indissociablement physique et moral. Ne pas se cantonner à soi mais sentir pleinement, sentir au risque du vertige, suivre le parcours du sensible qui se replie ou se circularise, voilà ce qui donne au voyage sa vraie saveur et le transforme en véritable exercice, en exercice périlleux. Nous réalisons alors notre appartenance à deux mondes radicalement incompatibles. Si nous avons un pied ici-bas, où dominent les relations de cause et d’effet et où nous sommes soumis à une temporalité irréversible – celle de « la flèche du temps » d’Eddington –, nous avons un autre pied ailleurs, là où la chronologie n’a plus de prise et où les transformations dont nous sommes le champ s’effectuent au-dessus de nous.
Faut-il encore tenter de maîtriser ce qui nous maîtrise ou bien nous résoudre à larguer notre moi ? Nous sommes dans la gueule de l’espace et séjournons comme Jonas dans le ventre du Léviathan. N’espérons pas stérilement un ailleurs où nous serions un jour recrachés comme le fut Jonas : explorons tranquillement notre habitat originaire ; vaguons, voguons, vaquons à notre guise, sans savoir où nous finissons, ni où l’autre commence. Rapprochons-nous du foyer des mutations.
Baldine Saint Girons, 2015
Livre / Dans la gueule de l’espace / Arnaud Bizalion éditions, 2015
1 . Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra, III, « Des trois maux », trad. Geneviève Bianquis, Aubier bilingue, 1962, pp. 369 et 371.
2 Les Œuvres de Maître Tchouang, trad. Jean Lévi, Paris, 2010, éd. de l’Encyclopédie des nuisances, chap. VI, p. 54 (trad. légèrement modifiée).
3 .Voir l’article « Marcher », dans Emile Littré, Dictionnaire de la langue française, 1877, Paris, Gallimard-Hachette, 1971.
4 . Ovide, Les Métamorphoses, I, vers 85-87, trad. Georges Lafaye, « Les Belles Lettres », 1969. Georges Lafaye traduit « sublime » par « qui se dresse au-dessus ».
5 . Frédéric Gros, Marcher, une philosophie, Carnets Nord, 2009, Flammarion, Champs, 2011, chap. I et II.
6 . Henry David Thoreau, Walden, trad. G. Landré-laugier, Aubier bilingue, p. 107.
7 . Frédéric Gros, op. cit., pp. 15-16.
8 . Thoreau, ibid., p. 93.
9 . Jean Giono, chronique du Dauphiné libéré, 15 octobre 1967, cité par René Bourgeois et Jean Serroy dans Le Trièves de Giono, Grenoble, musée Dauphinois, juillet 1996.
10 . Michel Jouvet, Le Sommeil et le Rêve, Paris, Odile Jacob, 1992.
11 . Théophile Gautier, Le Moniteur universel, 16 juin 1862, repris dans Impressions de voyage en Suisse, Lausanne, L’Âge d’homme, 1985, pp. 83 et 84.
14 . Robert Macfarlane, L’Esprit de la montagne (Mountains of the Mind – A History of Fascination, 2003), trad. Philippe Delamare, Plon, 2004.
13 . Chuang Tzu, Basic writings, translated by Burton Watson, Columbia Univ. Press, 1964, p. 23.
14 . Les Œuvres de Maître Tchouang, op. cit., chap. I, pp. 13-14.
15 . Romain Graziani, Fictions philosophiques du « Tchouang-tseu », Paris, Gallimard, 2006, p.135.
16 . Traduction de Jean-François Billeter dans Leçons sur Tchouang-tseu, Alia, 2002, 2010, pp. 28-29.
17 . Sainte-Victoire 93, 7 décembre 2014.
18 . Robert Macfarlane, L’Esprit de la montagne (Mountains of the Mind – A History of Fascination, 2003), trad. Philippe Delamare, Plon, 2004.
19 . Du spirituel dans l’art (1912), trad. M. et Mme de Man, éditions de Beaune, 1954.
20 . Herman Melville, Moby Dick, cf. trad. Lucien Jacques, Joan Smith et Jean Giono, Gallimard, 1941, chap. XLII, p. 266.
21 . Ibid., chap. XLII, p. 273.
22 . Moby Dick, chap. LXVIIII, p.412.
23 . Maurice Merleau-Ponty, L’œil et l’Esprit, Paris, Gallimard, 1964, p. 92.
24 . Voir Élisabeth Décultot, Peindre le paysage, Tusson (Charente), éd. du Lérot, 1996, chap. X.
25 . Voir Baldine Saint Girons, « Acte esthétique, sublime et figures sans visage chez Friedrich », dans Regardeurs, flâneurs et voyageurs dans la peinture, colloque de l’INHA, 5-6 juin 2009, publications de la Sorbonne, 2015.
26 . Michel Jullien, « L’homme de dos », dans Pierre-Henry Frangne, Michel Jullien et Philippe Poncet, Alpinisme et photographie, 1860-1940, Paris, éditions de l’Amateur, 2006, p. 34. Voir aussi le bel article de Pierre-Henry Frangne, « L’homme précaire et la photographie », en particulier les pages 67 à 69.
27 . Claude Reichler, Vanil Noir, Genève, éditions Zoé, p.39.
28 . Voir notamment Maurice Maillard, catalogue de la rétrospective du musée d’Art, Histoire et Archéologie d’Évreux, éd. Points de vue, 2012 ; et Claude Molzino, La Mémoire de l’ombre – De la gravure : Maurice Maillard, Paris, Manucius, janvier 2015.
29 . Albert Palma, Sans titre, p. 62 dans Albert Palma, Geste et Khôra, dir. Frédérique Villemur, éditions Emmanuel Bouvet-Labruyère, 4 rue Leconte de Lisle, 75016 Paris, 2012.
30 . Voir Benjamin Delmotte, La Vision et son épreuve phénoménologique dans l’œuvre d’Alberto Giacometti, L’Âge d’homme, 2015, et préface Baldine Saint Girons, « Voir enfin ou ne plus voir ».
31 . « Vaguer, voguer, vaquer », telle est la traduction proposée par Romain Graziani du titre donné au premier chapitre du Zhuang zi : « Xiao yao you ». Voir Fictions philosophiques (livre cité dans la note 14), p. 132.
He who knows how to breathe the air of my writings is conscious that it is the air of the heights, that it is bracing. A man must be built for it, otherwise the chances are that it will chill him. The ice is near, the loneliness is terrible – but how serenely everything lies in the sunshine! how freely one can breathe! how much, one feels, lies beneath one!
Friedrich Nietzsche, Ecce Homo: How One Becomes What One Is, 1888
I broke away from the « restricted » spectacle, my head once more lost in the immensely gaping maw of space that was swallowing me up, swallowing me ever further.
Henri Michaux, Le dépouillement par l’espace (« Spareness through space »), 1964
The word « artist » should be applied only to those whose works lead the imagination into an « elsewhere », providing it with points of support, points of fallback, points of thrust. And an entire refined, unexpected itinerary. A work can then function as a mandala, or a matrix for contemplation that is action. It can create circuits of energy in our bodies, and cartographies of unknown roads in a space that is both physical and spiritual.
When such directedness occurs, disquiet is felt on the level of appearance, while a divergence supervenes between external vision and internal impression. The sensed enters into conflict with the sense. Simplicity, in the end, is deceptive. In reality it is anything but simple, in that it turns against itself. In keeping with a suggestive etymology, it is not without a fold (« sine plica »). On the contrary, it is folded at least once (« semel plicata »). Both exposed and hidden, it returns in search of itself, like the circular snake. There is no stable essence, just ephemeral appearances. Even the most inconsequential element comes undone, and demonstrates its non-coincidence with itself.
Let us immerse ourselves, through mind, in the thin, glacial atmosphere of the heights. Infinite tranquillity overcomes us. The sublunar world vanishes, progressively erased by silent radiance. What presents itself as sublime is what makes all the rest seem small. Upright, before a high mountain, let us acknowledge Zarathustra, caught in his elan. In his hands he holds the globe; he gauges and assesses its lightness in the great cosmic balance, then bestows the laurels on instantaneously won lightness. Are the just not the least ponderous – those who, in so many traditions, rise with grace and majesty into the sky?
In my dreams, in my last-morning dream, I stood today on a promontory – beyond the world; I held a pair of scales, and WEIGHED the world. […]
How confidently did my dream contemplate this finite world, not new-fangledly, not timidly, not entreatingly.
There is, in the sublime, a sort of last judgement. It is the appearance of a new standard, a pioneering norm, which modifies our relations with things from top to bottom. The imagination, grown prodigious, sets itself up as the sole judge. When one lets oneself be carried away by its sovereign impulse, how is one to believe, for a single instant, in a separation between aesthetic judgement and moral judgement? Art responds to a hallowed injunction, stronger than all others: paint me, photograph me, preserve a trace of me! And not out of curiosity, or nostalgia, or fear, or a fleeting volition, but out of a sacred ardour to reply, to receive and to give. Between appearance and impression, how is one to decide if either dominates the other? A path opens up: alone, suddenly, in an infinity of possibilities. A path that may lead to other paths.
When one encounters Eric Bourret’s work, it is difficult not to feel caught in a different world, as though the air of the snowy peaks were suddenly invading other places, pulverising walls and roofs. One enters the open maw of space, allowing oneself to drift along at one’s own pace; guided, taken in hand by an immense, delicate power. The spareness is strong: an organic clearing, a muscular lightening… Our entire body reacts, even before we have given it our consent. Pure, frozen air enters our breast, intensifying capacities for vibration, and supplying new energy. A great silence falls.
But one is paradoxically less struck by the massiveness of the mountain or the power of the sky than by the other side of things: disappearance, phantomisation. The air loses its oxygen, the senses retract, the whiteness becomes voracious and swallows the world. The extremity of presence is overturned by the extremity of absence. But this desubstantialisation, far from blocking the flight of the imagination, opens up precise pathways to it, triggering an increase in the oneiric and allowing a return to a form of vision which, this time, traverses appearance, and reshapes it. Is it the same world that looms up, triumphant over the ordeal, shining with new light? Or is it the other side of phenomena: disturbing mirrors, endless labyrinths? And why is the feeling of emptying out, kenosis, so closely connected to the multiplication of contours and shadows?
Let us attempt to fathom the protocol of this distinctive art, and successively examine the roles played by the walking, the multiple exposures of images, the choice of landscapes from the « Roof of the world », the deluges of whiteness. And let us study the resulting paradoxical modes of entry into the mountains. Eric Bourret refuses any picturesque or sensationalistic effect. On the contrary, he does highly concerted erasures. But does man, then, entirely disappear?
On the front cover of the book there is an open left hand, and on the back cover a polar-blue fleece jacket that evidently belongs to the echographed artist. The hand responds, across history, to those our Magdalenian ancestors stencilled on the walls of their caves, marking their presence all the way down to us. With the hand and the thorax, Bourret is expressing a desire not to present himself through a name alone, but « in » his body; and to forgo the figuration of a face in favour of equally central organs. The hand with its outspread fingers indicates openness to the world. It is the instrument of touch, palpation and doing, par excellence. To it is reserved the « manipulation » of the camera. The thorax, for its part, is the casing of the heart; in Chinese philosophy, the seat of intelligence; to which the camera constitutes an extension.
Let us imagine this « high-altitude pedestrian », as Bourret calls himself, moving through the freezing snow that powders his jacket and makes his organs transparent. Caught in the maw of space, day after day, for weeks on end, he combines paces with pictures, and pictures with paces. What is it that stirs him so? To give oneself to space, to its altitudes, to its milky, crystalline, iridescent immensities – does this mean allowing oneself to be possessed by it, to be engulfed in it, or to create reciprocal relations in which the body and space exchange their values, interpenetrate, grow together?
And for us viewers, drawn along by these works, transformed into aesthetic actors under their aegis, are new possibilities of relatedness to space taking form even as our bodies believe they are stretching out, merging in an abstract way into the vivifying, thin air of the peaks? After contemplating Bourret’s works for two successive half days at his studio in La Ciotat, I recall how I ended up breathing with expanded lungs. I felt more connected to the ground, introjected into the universe. Such extensions of existence go beyond simple aesthetic pleasure: they bring us closer to the core of vitality. « The true man breathes with his heels; » wrote Zhuangzi, « the mass of men breathe with their throats. »
Walking on foot » is not a pleonasm, in that one can walk on organs other than feet: knees, elbows, hands, head, back… What, then, is so remarkable about walking on foot? Nothing, apparently. It is the easiest thing in the world, the most natural acquisition, the human being’s most salient characteristic. In order to walk, in the ordinary sense of the word, one needs only one’s legs and one’s feet.
But standing upright on one’s feet, supported by the ground, with one’s arms free; turning one’s face upward to the sky, and moving forward into emptiness – initially, this was a real exploit for humans, and it is reproduced by every child. I recall with gratitude my mother arranging things so that I was the person to whom my son directed his first steps. He tottered as I moved backward, stretching out my arms to him. And the world began…
Standing upright, and going forward using one’s feet alone, was long seen as redounding to the glory of man. It is easy to forget that we share this aptitude with the apes, and are much inferior to the birds, which free themselves from gravity simply by spreading their wings. Let us recall how, following Homer and Plato, Ovid celebrated the verticalisation that constitutes the sublimity of the human species.
While other animals look downwards at the ground, [the creator] gave human beings an upturned aspect, commanding them to look towards the skies, and, upright, raise their face to the stars.
If walking attests to man’s vocation for the sublime, it has also, over the last three centuries, represented a veritable act of resistance against the bustling modernity of which we reject certain constraints. How are we to avoid being turned into marionettes? How are we to challenge mechanical agitation, and work on a more authentic contact with ourselves, with the world, with others?
Walking is first and foremost an affirmation of autonomy. But it is also the foundation of an art, a culture, a philosophy. Marcher, une philosophie (« Walking, a philosophy ») is the title of a book in which Frédéric Gros affirms, essentially, that « walking is not a sport », and discusses the many concrete « liberties » that we gain by practising, over time, this ancestral activity. No cutting-edge techniques, difficult to learn. No obsessively pored-over scores. No jousts with others. Just awareness about « illusions of the indispensable », and time freed up thanks to a rediscovered taste for slowness, a discovery of the « open air » as a primary habitat, a playful quest for shelter to which nature contributes its « self ».
Every child begins the world again, to some extent, and loves to stay outdoors, even in wet and cold. It plays house, as well as horse, having an instinct for it. Who does not remember the interest with which, when young, he looked at shelving rocks, or any approach to a cave? It was the natural yearning of that portion, any portion of our most primitive ancestor which still survived in us.
We all, in the end, aspire to relive the beginnings of the history which is that of our species. But a refusal of the social personage, if adamant and enduring, demands sacrifices. We do not with impunity acquiesce in discomfort, insecurity, isolation… And though the rediscovery of a primitive modus vivendi may prove intoxicating, it cannot but be a cause of vacillation. To which the disturbing cry of the walker bears witness:
Freedom, in walking, means being no one, because the body that walks has no history, just an immemorial current of life. Thus we are two-legged beasts who advance. A pure force amid the great trees. A cry. And often, walking, we cry out our regained animal presence.
The essence of the cry is to establish a junction between the animal and the human. It is the birth of expression as such, with all the attendant anguish. The presence of intimacy becomes frenzied. It quivers, and delivers. One reflects on the cries of the parturient, mingled with pain and joy, pride in the nativity, the euphoria of cheating death… Being civilised means recognising in « the cry » the Ultima Thule it also entails. It means listening to one’s own cry, and thinking about its virulence.
This solitary cry is assuredly born only out of real walking, in other words walking that cannot be conflated with strolling, loitering, or even pilgrimage. Strolling may be good for the health, and may satisfy a desire for display, for human encounters, in a mapped-out space (often a park or a garden) on a largely predictable itinerary. Loitering presupposes a crowd, in a frequented area. Lounging, scrounging. As for pilgrimage, the age-old time of walking is subverted by impatience to reach the desired destination.
So why walk? What is the purpose of this act, given that it has nothing to do with sport, and that it diverges, in terms of utility, from the divertissement of the promenade, the frivolity of the stroll, or the salutary aspect of the pilgrimage? Does one walk for the sake of walking? It does not suffice to say that the body is made for movement. Our bodies are not mere skin bags in which we are enclosed. No. In the same way that our minds project themselves beyond the bounds of space, our physical being continuously goes beyond the limits that are assigned to it. As Thoreau wrote with humour, but also profundity, our admiration does not help the trees to grow, or the sun to shine.
It is true, I never assisted the sun materially in his rising, but, doubt not, it was of the last importance only to be present at it.
So many autumn, ay, and winter days, spent outside the town, trying to hear what was in the wind, to hear and carry it express!
A strange duty emanates from nature, as if it were insisting on us going to meet it, look at it, listen to it, rather than ignore its greatest spectacles with indifference, ingratitude and dull stupidity. And Eric Bourret the walker is also, apparently, responding to an imperative engendered by the landscape: « Look at me, contemplate me at length, at any time, in the highest and most inaccessible places. Don’t spare yourself. »
In art that touches you profoundly, an ethical injunction resounds. You have to go after it, take risks, stick your head into the mouth of the unknown. And the problem, then, is to know how to stop; how to retrieve your little self, and defend it. Everything is too immense, too powerful. We feel ourselves whirling, vulnerable – and soon vulnerated. « I rub my body against the landscape », as Bourret eloquently puts it. Everything is body, in a generalisation of corporality. And the problem is to avoid appearing unworthy; to be eternally ready for transformations. To become attached, no doubt, but to keep the attachments fluid.
The walker is someone who can use his body as an instrument to turn the near into the far, and the far into the near. To raise what is low, and to lower what is raised. To experience volumes, not just surfaces. There is an intimate knowledge of the landscape that can only be won by walking; because its resources are within me, in my body. And thus they adapt with subtlety to the landscape, in that they are less propitious to its objective representation than to gradual familiarisation. As Jean Giono wrote:
Walking, or, rather, the process of walking, means turning oneself into a magnifying glass or a telescope. […] The most magical instrument of knowledge is myself. When I want to know something, it’s myself I look to, it’s myself I apply, metre by metre, to a morsel of the world, like a lens. I don’t look at the reflection of the image: the image is in me. The enlargement takes place in my nerves, my muscles, my arteries and my veins. […] At this point, the external world is in such intimacy with my body that I can’t tell what belongs to me and what belongs to it.
We do not see with our eyes alone. We do not see only with our ocular apparatus. We see with our entire bodies. Photography is grasped and developed, of itself, through our systems of bones, muscles, nerves and blood, which it uses to form all sorts of diaphragm, lens and shutter. Film, even. Our bodies allow themselves to be guided, and written, by the landscape. And they are refashioned by their contact with it. The distinction between the inner and the outer fades away: the « I » enters into the landscape, and vice versa. As in friendship, I no longer know what is yours and what is mine.
One should perhaps become a sleepwalker, like Victor Hugo, who saw himself as a « somnambulist of the sea ». We have learned to distinguish between « deep sleep » and « paradoxical sleep », as defined by Michel Jouvet . But it is equally important to distinguish between the « paradoxical wakefulness » that considerably enlarges our universe and the usual, simple, restricted state of wakefulness into which we concentrate our attention. The slight somnambulism that opens up the world to us is an infinitely precious state, provided we do not stay in it too long, or allow it to threaten our integrity.
How is the slow movement of the enveloping landscape to be rendered? Immersed in the landscape, Eric Bourret lets it act within him, exposing his negatives either six or nine times. The exposures, subjected to a disintegration, are only partially concretised. And the result, each time, is a single image: not a snapshot, but a stratification of snapshots. Hence the slight quaver that multiplies the contours, and the indeterminacy that denotes the profoundly vibratory nature of things. Time coalesces with space, and the wave with the corpuscle.
After that, there is the developing process. Of the images he takes back from his acquaintance with a landscape, Eric Bourret retains barely 2%. The tension of the sentient flesh which generates the photographic multiplicity, and which, in a sense, is blindly artistic, gives way to the primacy of vision, which imposes its fiat. From paradoxical wakefulness one moves to a limited kind of wakefulness in which, admittedly, suggestions of walking remain, but which makes selections – sorting, choosing, framing, modifying – while reactivating the memory of belonging to an immemorial landscape where one had access to oneself only as a being descended from the dawn of the ages.
Let us look at photograph 065a. It does not simply blur the line of demarcation between mountain and sky, with the flow of whiteness that fuses them, and the pearly grey undulations that might equally belong to the tips of the peaks or the low, floating clouds; it also works on the limits of the visible, rendering degrees of impermanence. It cleaves to the « minimum », propagating it while amalgamating it into, or detaching it from, the landscape. The most startling thing is the two « wisps » which, on the lower left-hand side, enter into a conversation. These « minima » are in fact surprisingly large and conspicuous. And it is clear that the immobile is easier to photograph than the mobile. Human beings may take over the landscape, but we see them shrink and retire as if walking made them disappear, more or less absorbed by the whiteness of the air.
Another work, 035a, is almost abstract. If one looks at the diagonal that cuts it in half, close to two of the corners, what is amazing is its softness. This derives from the fuzziness of the slope, which loses its steepness as it melts into the sky, but also the grainy nature of the snow, which borrows from the earth its rejection of smoothness. The kenosis, the emptying out, is intense, but it allows for the implantation of a serenity that is propagated in slow waves. We touch a mobile, deeply sensual essence of the cosmos, accessible to the living: a crucible of transformations.
So let us look at a veritable « manifesto »: 051a. The trembling of the mountain range and the foreground is intense. Despite knowing that the same contours went through six iterations, and that the challenge was to achieve a simultaneous vision of successive images, we are uneasy. Our eyes cloud over. Our bodies partake in this « deconstitution » of the landscape, and we understand, deep within ourselves, the impossibility of visual stability. The mountain will not be called to order. Its breath is active, ceaselessly destroying the weak images we get of it. The human blends into the immensity of the cosmos, and into its dizzying temporality, which extends over millions of years. And once again we are struck by the grey outlines of our fellows as they disappear, more rapidly still than the mountains, into the voracity of the whiteness.
Not only does Eric Bourret work while walking. Not only does he use his camera as a new organ, with novel combinations of feelings. He also seeks out landscapes that are distant, and high up. For a quarter of a century, six to eight weeks a year, he has been striding across the eternal snows of the Himalayas at more than 6,000 metres. He goes back and forth along sinuous paths between Pakistan and Tibet (which does not prevent him from maintaining a deep feeling for his adopted territory, between the Alpilles, Lure mountain and the Sainte-Baume range). But in conversation he scarcely mentions the extreme conditions he endures, or the awe-inspiring glaciers he crosses in Ladakh and Zanskar, between China and Pakistan.
Bourret sees himself neither as an explorer nor a climber. What draws him to the « Roof of the world » is something other than geographical discovery or pioneering exploits. It is the expansion of space and time, an immersion in cosmogenesis, access to proto-spatiality and proto-temporality. Our little microcosm suddenly seems to occupy only a derisory place by comparison with the plurality of the multiverses that force themselves on the mind.
Euclidean, Ptolemaic space becomes insufficient, false, narrow. It needs to make way for universes that are more in conformity with the Galilean-Copernican revolution, and general relativity. This is graphically illustrated by a text in which Théophile Gautier expresses the need to find a correspondence between our vision of the world and the new cosmology.
When we live in cities or plains, it is easy to forget that we are circulating through unfathomable space, borne along by a planet gravitating round the sun at prodigious speed. […] The data of astronomy, however precise, seem almost chimerical, and one is overtaken by a desire to revisit Ptolemy’s system, which made our frail habitation the very heart of the universe. Great mountains help us to understand that the earth is in truth a celestial body suspended in the ether, having assumed its current visage after a thousand cosmological revolutions, a large ball of fire wrapped in a thin solidified layer, where animate life may be no more than a temporary accident, and man a mere parasite threatened with destruction by the slightest Neptunian or Plutonian cataclysm. It would take just a nutation of the axis for the displacement of the oceans to submerge all creation. A dilatation of gases, and lo, the balloon bursts, spreading lava in rises and falls. Mountains, though to the skin of the earth no more than its roughness is to the skin of an orange, have faithfully conserved an image of the primal chaos. They represent the frozen convulsions the globe underwent as it sought out a form in its immense atmosphere of carbonic acid, convulsed by storms compared to which our own typhoons and cyclones are but zephyrs.
The discovery of the Himalayas is recent. Neither Herodotus nor Ptolemy made any mention of mountains in the north of India; and the cartographers of the Renaissance talked more about the contours of the continents than their elevation. It was only in the 19th century that a growing interest in mountain peaks, along with the ebb and flow of the competition between Russia and Britain for control over Tibet, gave rise to systematic exploration. Attempts on Everest, the Himalayas’ highest summit, go back no further than 1924, when George Mallory met his death there; while the conquest of Annapurna by Maurice Herzog, with the loss of several fingers to frostbite, dates from 1950.
But what concerns us most, when we look at Eric Bourret’s photographs, is the remarkable geological texture of the mountain wall that seems to close the triangle of India in upon itself. In Sanskrit, « hima » means « snow », while « alaya » means « to remain ». And the Himalayas never cast off their thick white mantle.
Around a hundred and eighty million years ago, India was separated from Asia by a gaping marine trench: the Tethys Ocean. But the tectonic plates moved closer, and a formidable collision took place, with India throwing itself on Tibet. The fossils and sediment that had accumulated in the Tethys Ocean were compressed and broken into fragments that either sank to the depths or were hurled upwards to dizzying heights. As Robert Macfarlane has written:
The highest point on the terrestrial surface was thus to be found in one of the earth’s deepest chasms. In the strip of yellow rock that crosses Everest just below its summit, one finds the fossilised bodies of creatures that lived in the Tethys Ocean.
The globe’s highest mountain rises up out of a bottomless pit. The sublime does not appear only in the dimension of acquired height, but is located on an axis of verticality where the extremity of height (« hupsos ») and that of depth (« bathos ») coincide. The marine chasm and the snowy peak merge, to the point where the rocks suggest aquatic monsters, while the mountains recall the fury of tall waves.
And here one might once more cite Zhuangzi, who plunges us into an enlarged cosmos without anthropocentrism. To begin with, we encounter the giant fish K’un frolicking in the waves (or « free and easy wandering », in Burton Watson’s translation ). But soon it explodes noisily out of the water and soars up high above the clouds, having turned into a great phoenix: P’eng.
[W]hen he rises up and flies off, his wings are like clouds all over the sky. When the sea begins to move, this bird sets off for the southern darkness, which is the Lake of Heaven.
The Universal Harmony records various wonders, and it says: « When the P’eng journeys to the southern darkness, the waters are roiled for three thousand li. He beats the whirlwind and rises ninety thousand li, setting off on the sixth month gale. » […]
[W]hen the P’eng rises ninety thousand li, he must have the wind under him like that. Only then can he mount on the back of the wind. […]
The cicada and the little dove laugh at this […]
What do these two creatures understand?
Right away, Zhuangzi breaks with our everyday world, luring us away from our normal framework of thought. As Romain Graziani puts it: « He plays with the limits of the power of representation, forcing the mind, without points of reference or assurance, to follow the story of this unlikely transformation »; because the objective is to « think outside oneself » and to « liberate the possibility of the great vital gesture » . What the cicada and the little dove do not understand…
Zhuangzi’s improbable and seemingly gratuitous fictions are not meant to satisfy our taste for the plausible, the edifying and the useful. In the same way, Eric Bourret shows us impossible, invisible images that frustrate our liking for the picturesque and the sensationalistic. Guided by a deep, shared sense of the « great vital gesture », they both lead us into the heart of life, and present, if only for a brief moment, the fish-phoenix and the Himalayas: the most splendidly living being and the most fabulous region of the terrestrial world.
But let us remain in the company of Zhuangzi, with his acute sense of the invisible cosmos that is located under the visible one, and the incessant, spontaneous transformations that traverse it. Not only does the fish turn into a phoenix, but man, while he may allow himself to be guided by nature, is also capable of leaving behind the aerial realm and cavorting with agility in dangerous waters.
Confucius admired the waterfalls of Liu Liang. The water fell from a height of three hundred feet, and poured down, foaming, across forty leagues. Neither turtles nor crocodiles could stay in that place. But Confucius saw a man swimming there. Thinking it was some poor wretch seeking death, he sent his disciples down the riverside to rescue him. But a few hundred steps further on, the man got out of the water, straggle-haired, and went off singing.
One might think of a Sainte Victoire liquefied by Eric Bourret , which brings to mind the Tethys Ocean, clinging to the side of Everest . From the waters of the cataract, devoid of fish, and even of turtles and crocodiles, a solitary native could emerge, singing, before the troubled, perplexed and, finally, incredulous eyes of a master and his disciples. Whiteness spreads, unreal. Is it foam? Sand? Chalk? The water rushes down and undulates horizontally. Trails of matter propagate, as though to frame an aqueous staircase. There are repeated collapses; all of nature stirs, swirls, fluidifies. What a commotion! Imagine the native of Liu Liang, totally at ease in this unliveable world. Suddenly, his mind seems superior to our own; and we can clearly see what it means to « think outside oneself ».
Fish become birds, and rocks begin sliding over the snow-covered ground. Cavities turn into mountains, and watery expanses into eternally icy planes. The chasm below and the chasm above come together. And the shore on the peaks sometimes protrudes, so heaped up is the ground with granular or powdery debris (039a and 085a).
How can we decide whether we are looking at snow-covered earth or surging sea? In 011a, which brings to mind Maurice Maillard’s L’Origine, a shiny black rock opens like a fan, with white flecks in the middle of a landscape where sky and earth-sea rival in brightness. The straight line of the horizon is like a marine perspective: heavy longitudinal movements seem to arise from the breakers, while small shiny ripples indicate the unceasing advance of the wavelets. But the unctuousness of the whiteness, like fresh cream, falsely comestible, discloses the snowy covering. In place of wrecks, we see a brush with the rocky mass; and the traces of snowdrifts overshadow the writhings of the foam.
In several cases, Eric Bourret has given mineral substances the appearance of sea dwellers. One might compare the seven rocks swimming in the mountain (043a) to simple insular stones (66-1). In the first case, we feel the air of the peaks; and despite the multiplicity of the black forms, their oneness with the mountain is clear. The rocks seem like archaic emergences that float down in a tranquil way, while, on the right, swarming figures climb the mountain. The line propagates gently to the summit, light grey like the ascensionists. The insular stones, on the other hand, with scales, like big oysters, have an unsettling effect. They have lost their granitic shine, and seem to reject any outline that might define their boundaries. The space has become uninhabitable.
Eric Bourret’s work is haunted, not only by unreassuring rocks but also by veritable « mouths of shadow » (021a and 91a). Verticalisation under an aggressive sky gives the first of these a fantastical appearance to the stripped-bare eye, while the second retains the peaceable character of a small phantomatic lake seen through fog. In both cases, one is struck by the vitality of the gulf that rises up to mark its obsessive presence by what might be no more than a dark pool. But in the enigma of its sombre deformation, it harks back to the ancestral Tethys Ocean, in perpetual eruption on the snow-covered flanks.
Whiteness invades space in diverse and sometimes contradictory ways: sensual and ideational, hot and frozen, joyful and terrifying. There is a photograph (017a) in which one might see the soft, nacreous undulations of a female body – the harmonious swelling of thighs, a slightly hollow belly. We marvel at how, in sculpture, cold, hard marble can take on such a profound erotic charge, in the same way that in a photograph, snow, despite its glacial, cutting character, can suggest the delicacy of a warm, living dermis. The point is that the work lends existence to that which is only insofar as it is abstracted. We think we can immerse ourselves in tender, welcoming flesh, whereas in fact it remains at a distance, bathed in the luminosity of dawn, and that of impossibility.
So what, then, is whiteness? Is it a colour, or, in fact, that which dissimulates colour? But colour itself is ambiguous, and belongs less to things than to their interface with the world, as we are given to understand by the fact that the Latin word « color » derives from the verb « celare », meaning to cover, or to hide. If white light is heterogeneous, as Newton demonstrated, using his prism to separate out the seven colours, does this mean that whiteness, being colourless, shows the other colours to be mere illusions?
Is whiteness really a symbol of purity? And does it, as Kandinsky said, provoke « juvenile joy »? At any rate, he assimilated it to a « living silence », to limbo, or to a general immaterialisation of the world.
This silence is not dead. It throngs with living possibilities. The whiteness sounds like a silence that may suddenly be understood. It is a « nothing » full of juvenile joy, or, to put it more precisely, a « nothing » from before any birth, any beginning. Thus, perhaps, resounded the white, cold earth of the ice age.
Kandinsky contrasted the effects of white and those of black. On a white background, colours « blur their sonority, and some even decompose », whereas on a black background they acquire « clearer sonority, and greater power ». He refrains from drawing any consequences that might cast doubt on his theory; but if it is true that black serves to enhance colours, this means that it is an intensifier of life, whereas white, by extinguishing colours, is a vector of death.
A radical critique of the confusion between whiteness and the purity that is a vehicle for joy can be found in Herman Melville, who is less terrified by Moby-Dick’s gigantic stature, furrowed forehead and crooked jaw than by its whiteness. As the narrator says, many efforts have been made to describe the monstrous whale. But:
[T]here was another thought, or rather vague, nameless horror concerning him, which at times by its intensity completely overpowered all the rest; and yet so mystical and well nigh ineffable was it, that I almost despair of putting it in a comprehensible form. It was the whiteness of the whale that above all things appalled me.
Mystical signs of whiteness accrete around Moby-Dick: the canopy of vapour that overhangs it, sometimes magnified by a rainbow, or again the prodigious mane of foam that adorns it, as it cleaves the water.
Seeing whiteness, then, means passing through the mirror. It means being shown the overlooked underside of things, and what constitutes their demonism.
Though neither knows where lie the nameless things of which the mystic sign gives forth such hints; yet with me, as with the colt, somewhere those things must exist. Though in many of its aspects this visible world seems formed in love, the invisible spheres were formed in fright.
Moby-Dick is no doubt a cardboard mask for something else. But what? How are we to discover the unknown that is man’s real concern? How are we to make it over the wall that surrounds us? The visible is just a residue traversed by forces of which we know nothing.
[N]or to the unimaginative mind is there aught of terror in those appearances whose awfulness to another mind almost solely consists in this one phenomenon, especially when exhibited under any form at all approaching to muteness or universality.
The appearance of Moby-Dick in its impenetrable whiteness is evoked by a certain photograph of Ladakh (4410). On a deserted summit, and beneath a stormy sky, a river of white lava slowly descends, swelling the concentric curves of its nacreous robe and reflecting its rays up to the sky. It seems to be pushing a tongue of glacier forward like a mere ball. Is this not the white whale, amorphous and omnimorphous, whose appearance scientists cannot actually reconstitute from its skeleton? Here is its body, covered in mysterious writings, dry-point engravings forming hollows lined with ridges or barbs that endow it with an irreducible singularity.
But these marks do not seem to be impressed upon the isinglass substance above mentioned, but seem to be seen through it, as if they were engraved upon the body itself. Nor is this all. In some instances, to the quick, observant eye, those linear marks, as in a veritable engraving, but afford the ground for far other delineations. These are hieroglyphical[.]
Writings proliferate, like the sextuple or nonuple contours of the mountains, the rocks, the walkers… Transparency increases. The immobile becomes mobile.
I think of the body that is mysteriously inscribed in another of Eric Bourret’s works, which I like to call « Lascaux » (055a). « In a sense, » as Merleau-Ponty put it, « the first painting went all the way to the end of the future. » This one is an animalised mountain lacerated with incisions, and textured like the prehistoric rock walls that inspired the fabulous animals of humanity’s first artists. Does it not look like those bison whose powerful, obstinate foreheads stand out in profile in the ornate caves?
In any case, one would not think this was a photographer. A skilful engraver, more like, using fissures in the rock to isolate the top of a head, deepen an eye, outline a muzzle or a neck. He has matched the sizes, burnished deep shadows with soft undulations, brought tremulous life out of the rock. One feels disconcerted, wondering what could have produced such an impression of gravity, density and, even, nuance.
The motif, let us say, is gone, the appearance dislocated. But it is as though the loss of exteroceptive perception had allowed other forms of feeling and action to come through. Although the exercise of properly circumscribed vision is of course one of the most useful in daily life, the problem is that it could lead to (though without necessarily vitiating it) the aesthetic work which, in the last analysis, consists of exposing one form of otherness to another, and looking at what results from the operation, in spite of the disparity that exists between external vision and internal impression. The first time I really became aware of this hiatus between vision and impression was when I failed to recognise a painting by Vieira da Silva, even though I had seen it just the previous day in the same conditions, including the lighting. I had to make a real effort to « reunderstand » my previous mode of perception, which, for a time, was inaccessible to me.
A similar detachment from the model is particularly perceptible in the « hallucinated mountain » (049a) that Bourret photographed after spending the night in a tent on a glacier in Ladakh at -30°C. The central forms recall a chalet with a smooth roof, whereas in reality they are forms of collapse, flurries of snow, gulfs, with a surprising narrow parapet. We lose our points of reference and are captivated by the sky, which seems to stretch out to infinity. What we see counts less than the appeal of the soft whiteness. We are seized, but without violence. No hypnosis. We come and go in the maw of space. And the opposition between black and white seems to symbolise our ultimate resistances.
There are possible comparisons between this work and the one I feel like calling « Menacing profile with uneven eyelashes » (063a). The profile appears only in certain circumstances, especially if we concentrate on the black shadows and the banks of snow. There are movements of whiteness that take us away from any motif, so that mystery prevails, without tall tales. But what, then, of anthropic presence?
There is a tendency to think that Western painting has always depicted mountain-dwellers not just from behind, without a face, but also as solitary beings, standing proudly in the middle of a panoramic, misty landscape. And Caspar David Friedrich’s idea of the « Rückenfigur » was immediate acclaimed, though it is true that it fell into oblivion soon afterward. Friedrich was recognised as the promoter of a pictorial « revolution ». But he was lambasted by the champions of the classical landscape, and was neglected in his own lifetime. Only at the start of the 20th century was he rediscovered, thanks mainly to the Norwegian Andreas Aubert .
The Wanderer above the Sea of Fog (1818) is historically distinctive. Its subject, standing in front of the vanishing point, looks like a border guard, or perhaps a cryptic nexus between two worlds with nothing in common. He marks a threshold that is uncrossable, yet mobile. On the one hand, I would not be able to look past him and see what he is hiding from me. On the other, he seems to have entered into the landscape, to have reified himself, to have become one with the world of things, as though pictorial space could open itself to human beings and draw them in, as many Chinese anecdotes would have it. The sublime is born out of an anxiety I have to overcome. What brings me nearer also separates me. What opens my eyes also closes them. The interface with « elsewhere » is problematic: the individual seen from behind hides the landscape he appropriates. The reflecting face of the mirror is turned away from me. What is essential escapes me and rolls out between the landscape and the figure. There is reflexivity, but mine is secondary to an initial instantiation of it .
So what is taking place, with the birth of high-altitude photography? « We see many people, and no one in particular », says Michel Jullien. How is this disindividuation to be explained? The photographer, spectacularising something that was not intended as a spectacle, troubles the mind. Just as the funambulist spectacularises his confrontation with the void, the alpinist is not merely showing off; he is gripped in a confrontation with the mountain. When one looks at images of climbers, their bodies seem somehow too dark, too strongly present. A desire to impress, or to instruct, sometimes prevents identification. But a certain malaise also makes itself felt. Should the high-altitude walker not remain unseen and anonymous, like the unnameable monster that was created, and abandoned, by Frankenstein, the first figure to survive in the sea of ice, where he hid his face?
Mary Shelley’s fable […] foreshadows the history of mountain photography, at least up to the Second World War. […] As if hiding one’s own face from others and oneself, and obliterating one’s identity, were the psychological preconditions of the ascent. »
Wisdom, or mere superstition? If liberty, in walking and climbing, meant being no one in particular other than a body walking or climbing, one could understand the need to flatten out features that were overly prominent. The greater one’s love of the mountain, if anything, the greater the need to elide the faces of those who observe it.
Claude Reichler, poignantly recounting the death of the solitary young man who should have been his uncle, the discovery of the body a year later, thanks to a tenacious father and brother, and a photograph of the coffin, is surprised:
If I were to seek traces in my memory alone, without recourse to the portrait, I would be hard put to it to summon up his face. For me, it has not taken on material form. To the best of my knowledge, no one in the family ever brought together the vestiges of this truncated life. There is a remarkable symptom here: all this memory, so heavy, and behind it a great void.
The legend sprang up alongside the landscape, and among the living, gathered round the coffin. It did not bring the dead man back to life, but integrated him forever into the Vanil Noir mountain, which, after concealing the body in a crevice, finally yielded it up.
The people in Eric Bourret’s photographs have no faces. They move forward gracelessly, heads bowed. They are light-grey shadows of small dimensions. As sextuple or nonuple patches of colour in a landscape, their combinations suggest both loneliness and the crowd. And for these reasons, we tend to forget the photographic circumstances, or even the fact that there has been photography. These pale personages, after all, could have provided an engraver or a painter with the inspiration to reproduce a landscape that was inscribed in their hearts.
Looking at such works, the term « painting », however inappropriate, frequently comes to mind. In 019a, we are struck by the « fitting » distance between the solitary and the multiple walkers. The vanguard and the rearguard are identically aligned with the central group. The tremor of the snowstorm in which the mountain seems to be caught up gives the impression that the path, just at the bottom, is curving towards us. The positioning of the subjects reminds me of the believers in Philippe de Champaigne’s Landscape with the Blind People of Jericho, where the cortege proceeds from right to left, then turns forward and downward from left to right. But the clear oneiric space of the heights and on the right contrasts with the dark, material space below and to the left. There is nothing like this in Eric Bourret’s work, where the same aerial whiteness, both compact and light, occupies the entire space.
Even in the shadows in perspective, in 013a, where a declivity of black earth balances and extends the line of walkers, drawn out along the central projection, black remains a foil to white. And this is still more perceptible in, 073a, a « walk towards a black sky ». Two or three individuals, multiplied as shadows, climb up toward the right. But the sky hollows out a black abyss whose lower side comprises a myriad of filaments and dust. The whiteness of the clouds, and that of the ground, come together to marginalise the appearance of blackness that now seems provisory and blockable.
Why does one not think of Eric Bourret’s works as photographs? One is impressed by the construction of the images, the accomplished use of line, the effacement of limits, the multiplications of horizons and figures. The indicial function of these images does not contradict their iconic function. One pays little heed to the requirement for authentication that is sometimes wrongly imposed on photography, with the requirement that the index tell us not only that something has happened, but also what has happened.
Curiously, although there is no other photographer’s work with which I would be inclined to compare that of Bourret, I often think of Maurice Maillard, a painter and engraver who, starting with abstraction, lays out rocky landscapes in a palette of intense blacks and greys . But there is also Albert Palma , who tirelessly turns networks of fine pen lines into entire hodologies. All three artists make matrices of dreams that are pursued through different types of connection, as precise as they are mysterious.
Of the three, however, Bourret is the only one who paints human figures. With Maillard and Palma, there is no shadow, and certainly no multiplication of shadows. The human has disappeared. No animal, no plant. The epitome of spareness.
So what, specifically, is happening, with regard to the trace of the human, and its shadow, either sextuple or nonuple? In an attempt to answer this question, I propose to look at three images, in each of which a shadow occupies the precise centre of a horizontal landscape.
In 083a, a man appears, as in an x-ray, at the intersection of several paths, more or less broad or narrow. His is a single shadow. The blue-grey streaks on the snow seems to be of the same nature as that of the clouds in the sky. And one might also, indeed, think of Friedrich’s Monk by the Sea, except for the fact that there is a network of traces, unimaginable on the surface of the sea, which makes an obsessive presence on the ground.
In another work, 037a, the shadow is at least nonuple. The whiteness has no doubt absorbed some of the figures, though we do not know exactly how many. The traces, this time, undulate; and it is impossible to make out the horizon. Smooth, milky, homogeneous whiteness invades the landscape.
In the third work, 081a, which departs from the quasi-monochrome, a highly contrasted landscape frames a group of shadows around a priestess, or at any rate a figure whose stature, outstretched arms and apparel has something hieratic about it. Here, the human being is at a meeting place between sky and earth. Verticality imposes itself: this is mountain-in-movement. Hence the great serenity that emanates from Bourret’s works. The landscapist is not just a part of the landscape; the landscape is also part of him. The interior becomes exterior, and vice versa.
In the end, these works do not satisfy our desire to see. In fact they thwart it. Was it really necessary to go so far, so high, to produce this result? Would something more accessible not have done? It has to be observed that our need to feel and imagine would thereby have been sustained and relaunched. We need uncluttered screens, points of support, reception facilities, departure areas… But we also need perceptions that are not hallucinations, that attach us to the world and prevent us from plunging into an unshareable, autistic delirium. We want a void. Furthermore, it has to be a surrounded, signposted, confined void: a void that has become contemplatable.
Multiple human shadows take on the value of pictograms; and they emblematise our different modes of appearance and « de-appearance » . This is not exactly a « disappearance », pure and simple, or an assimilation into the landscape, but a corollary of appearance. The difficulty lies in the fact that the different profiles of the phenomenon, and its nuances (« Abschattungen »), do not complete one another in any absolute space, but coexist in simultaneity. Time contracts, and auto-complicates, following the proliferating virtual linkages. Multiplication is condensation.
To conclude…
A new ideal: spacification
Not just to put oneself at a distance, but at a height. Not just to walk on the ground, but to feel oneself enveloped in space, penetrated by space, inside and outside. To let the air fill one’s throat, one’s chest, one’s arteries, one’s entire body. Not only to grow up, and rise up, but to dilate, to merge… This could be an ideal for life. « Girdled with the wind », in the Brahman tradition, is what describes the sannyasin who ritually leave their families and go off to lead the peripatetic life. Light, drawn into space. We are not, one beside the other, « partes extra partes », doomed to extraposition. Our breath and energy are ceaselessly mingled, borrowed, recast in a mechanism that goes beyond us.
Let us thus, in our imagination, perch on the heights and, with Eric Bourret, range across the « Roof of the world ». A new desire springs up: not one of obsessive conquest, rivalry with our fellows, or superhumanity – Bourret is no Nietzschian – but one of expansion and openness to a space that is indissociably both physical and moral. Not to be enclosed within oneself, but to feel, fully; to feel, at the risk of vertigo; to follow the path of the sensorial as it folds backward or circularises. This is what gives the journey its true savour, and turns it into a veritable exercise. A perilous exercise. We realise that we belong to two radically incompatible worlds. There is one in which relations of cause and effect dominate, subject to an irreversible temporality – that of Eddington’s « arrow of time » – but there is also one in which chronology holds no sway, and the transformations of which we are the field take place above us.
Must we again attempt to control what controls us, or must we resolve to cast off our egos? We are in the maw of space, like Jonah in the belly of the whale. But we should resist any vain hope of an « elsewhere » from which, like Jonah, we may one day be spat back out. Let us calmly explore our primordial habitat. « Vaguons, voguons, vaquons » (« Let us roam, let us sail, let us work ») according to our fancy, without knowing where we terminate, or where other people commence. Let us get to the focal point of mutations.
Baldine Saint Girons, 2015
Livre / Dans la gueule de l’espace / Arnaud Bizalion éditions, 2015
1 Friedrich Nietzsche, Thus Spake Zarathustra, 1891 (trans. Thomas Common), Eserver, LIV.1.
2 In Zhuangzi: Basic Writings (trans. Burton Watson), Columbia University Press, 1964.
3 In The Metamorphoses (trans. Anthony S. Kline).
4 Paris, Carnets Nord, 2009.
5 Henry David Thoreau, Walden, 1-C.
6 In Frédéric Gros, op. cit.
7 In Henry David Thoreau, op. cit, 1-B.
8 In Le Dauphiné Libéré, 15 October 1967, quoted by René Bourgeois and Jean Serroy in Le Trièves de Giono, Grenoble, Musée Dauphinois, July 1996.
9 See his Le Sommeil et le rêve, Paris, Odile Jacob, 1992.
10 In Le Moniteur universel, 16 June 1862, reprinted in Impressions de voyage en Suisse, Lausanne, L’Age d’Homme, 1985.
11 In Mountains of the Mind – A History of Fascination, London, Granta, 2003.
12 In op. cit.
13 In Burton Watson (trans.), op. cit.
14 In Fictions philosophiques du « Tchouang-tseu », Paris, Gallimard, 2006.
15 In Jean-François Billeter, Leçons sur Tchouang-tseu, Alia, 2002.
16 Sainte Victoire 93, 7 December 2014.
17 See Robert Macfarlane, op. cit.
18 In Concerning the spiritual in art, 1912.
19 Herman Melville, Moby-Dick, Chapter 42.
20 Ibid.
21 Ibid.
22 Moby-Dick, Chapter 68.
23 In L’Oeil et l’esprit, Paris, Gallimard, 1964.
24 See Elisabeth Décultot, Peindre le paysage, Tusson (Charente), Editions du Lérot, 1996.
25 See Baldine Saint Girons, « Acte esthétique, sublime et figures sans visage chez Friedrich », in Regardeurs, flâneurs et voyageurs dans la peinture, INHA conference, 5-6 June 2009, Publications de la Sorbonne, 2015.
26 In Michel Jullien, « L’homme de dos », in Pierre-Henry Frangne, Michel Jullien and Philippe Poncet,
27 In Vanil Noir, Geneva, Edition Zoé, 2014.
28 See the catalogue of his retrospective at the Musée d’Art, Histoire et Archéologie d’Evreux, Editions Points de Vue, 2012, and Claude Molzino, La mémoire de l’ombre – De la gravure: Maurice Maillard, Paris, Manucius, 2015.29 See « Sans titre », in Albert Palma, Geste et Khôra (ed. Frédérique Villemur), Paris, Editions Emmanuel Bouvet-Labruyère, 2012.
29 See « Sans titre », in Albert Palma, Geste et Khôra (ed. Frédérique Villemur), Paris, Editions Emmanuel Bouvet-Labruyère, 2012
30 See Benjamin Delmotte, La vision et son épreuve phénoménologique dans l’oeuvre d’Alberto Giacometti, Paris, L’Age d’Homme, 2015, with a preface by Baldine Saint Girons, « Voir enfin ou ne plus voir ».
31 This was Romain Graziani’s suggested translation for the title of the first chapter of Zhuangzi’s writings. See Fictions philosophiques du « Tchouang-tseu ».